2023 Un millésime prometteur et encore incertain

crédit photo Domaine le roc

Chaque année les vendanges sont un moment déterminant pour le vigneron. C’est à la fois un rendez-vous régulier mais aussi un moment qu’ils ne peuvent pas se permettre de rater. Le fruit d’une année de labeur.  » Des vendanges ont en fait 40  dans une vie, c’est beaucoup et peu à la fois. » m’a un jour dit un vigneron.

C’est une période très intense. Avant de commencer,  il s’agit de savoir quand récolter. Ni trop tôt. Ni trop tard.

Pendant, il faut être méthodique et tenir compte des contraintes techniques et météorologiques qui peuvent compliquer l’affaire jusqu’au bout.

Après, il faut veiller à ce que le travail en cave se passe judicieusement vienne compléter, et mettre en relief habilement le millésime de l’année.

Car l’enjeu d’un vigneron est de refléter le millésime, tout en restant fidèle au style de la maison. C’est un exercice délicat.

Voici donc un panorama des premières réactions des vigneron-nes au quatre coins de France.

Pour Audrey Rouanet ces vendanges ont une saveur particulière. En effet, elle a décidé de voler de ses propres ailes, et de s’affranchir du giron familial « Ce sont des vendanges transitoires pour moi. J’ai seulement des petites parcelles à vinifier, je n’ai pas commencé car ce ne sont que des cépages tardifs (cinsault, syrah, carignan). Pendant ce temps j’aménage mon nouveau chai. Mais cette année, a été un beau millésime chez nous, bien que particulier. Nous avons eu des épisodes de pluies et de belles journées. »

Dans la Loire, en Anjou, au domaine du Fief Noir, les pluies des mois de mai et juin ont demandé beaucoup de vigilance face aux maladies, notamment le mildiou, un champignon qui apparait avec l’humidité, qui attaque d’abord les feuilles puis les baies , dessèche la vigne et se propage. « Mais finalement le climat tempéré que nous avons eu a permis une vigne équilibrée avec de belles quantités cette année. Nous sommes satisfaits et nous attaquerons les vendanges vraisemblablement semaine prochaine » M’explique Alexis Soulas.

A Bordeaux en revanche, 2023 signe le retour du mildiou . Pour Véronique Barthe au Château d’Arcole, les conditions météos ont été rudes. « En plus d’un climat naturellement océanique, nous avons eu beaucoup d’orages. Cela crée des situations très disparates en fonction des parcelles touchées ou pas. Pour les cépages très sensibles au mildiou, notamment le merlot, cela pose de gros problème de rendements. Bien inférieur à la moyenne. » En revanche en blanc cela s’annonce très très joli. Elle poursuit philosophe: » Après, quand on travaille en bio ou en biodynamie on sait bien que lorsqu’il y a des millésimes moins cléments c’est plus difficile (pas de correction par la chimie possible) . C’est le jeu et c’est aussi ce qui justifie le fait que le bio soit un peu plus cher. On peut avoir de lourdes pertes.

Quant à la Bourgogne, cette année pas de grêle, d’humidité ni de sécheresse excessive. Au domaine Chapelle on se réjouit: « Le millésime s’annonce beau tant en qualité qu’en quantité, nous commencerons mercredi prochain les vendanges. En espérant qu’il ne pleuve pas pendant  » On devrait cette fois avoir un peu de vin à vendre!

L’année dernière la sécheresse avait posé problème a de nombreux vignerons « Cette année nous n’en n’avons pas trop souffert, nous avons bien travaillé les sols pour capter un maximum d’eau m’explique « Amélie du Mas Baudin, où les vendanges ont débuté avec les blancs et où là aussi malgré quelques problèmes mécaniques la qualité semble être au rendez-vous.

Un plus loin dans la Vallée du Rhône à Chateauneuf, le discours n’est pas tout à fait le même. « Nous n’irriguons pas et la vigne avait soif. Les pluies de ces derniers jours ont fait du bien mais perturbent les maturités, nous venons de faire une étude de grain. On aime récolter quand c’est bien mûr alors on est encore dans l’expectative quand au départ des vendanges. » M’explique Caroline du Domaine de la Jaufrette.

On croise donc les doigts pour que les vendanges se déroulent sans accroc . La suite à venir avec le travail en cave.

Au domaine de Coursac: audace et transmission

Le domaine de Coursac est situé à Carnas au cœur des Cévennes entre l’Hérault et le Gard. C’est David Codomié actuellement associé à son fils Morgan Codomié qui a crée de toute pièce le domaine. David est petit fils de vigneron mais son père n’avait pas souhaité reprendre et le domaine avait été vendu.

L’exploitation compte aujourd’hui 34 hectares de vignes réparties sur deux terroirs bien différents. Un sol de gravettes, des petits cailloux très drainants et un terroir plus argilo calcaire. La particularité du terroir de Carnas est sa fraicheur « Probablement car nous sommes situés entre deux collines ce qui fait un courant d’air frais. C’est un inconvénient lorsqu’il gèle mais à l’heure du réchauffement climatique c’est plutôt un avantage qui nous permet de faire des vins équilibrés. »Comme ce viognier gastronomique prévu pour la fin d’année.

Alors qu’il poursuit une autre activité professionnelle, David a l’opportunité d’acheter en 1998 ses premières vignes à Carnas. Deux hectares à proximité de son domicile. Puis dans les années 2000 une grave crise viticole touche la région et David, petit à petit, rachète des terres viticoles aux alentours. Il continue par ailleurs son activité professionnelle et n’exploite pas le raisin lui même mais via la cave coopérative de Corcone.
C’est seulement en 2008 qu’il décide de se consacrer tout entier au métier de viticulteur mais à cette époque la cave coopérative de Carnas fusionne avec la cave de Corconne. « Cela ne s’est pas bien passé, ça a duré plusieurs années puis en 2013 cela s’est soldé par un divorce, la cave a été dissoute. D’autres sont partis dans d’autres caves coopératives mais moi après un divorce. Je ne me remarie pas. J’ai décidé de monter une exploitation indépendante ».
Le domaine est engagé dans une viticulture biodynamique, lorsque je l’interroge sur les raisons de ce choix David m’explique : « J’ai pris en 2004 un congés formation pour mieux me former au vin. J’ai fait une formation d’un an à Bagnols-sur-Cèze, et mon professeur était une biodynamiste. Elle m’a convaincue.  J’aime beaucoup la philosophie biodynamique qui n’est pas une course aux rendements. Cette année par exemple nous faisons face à cause de l’humidité du printemps à de fortes attaques de mildiou. Bien sûr il y aura des pertes, il faut savoir prendre ce que la vigne nous donne. Je remarque par ailleurs , que ma vigne parvient quand même à mieux s’auto-défendre que certains voisins en agriculture conventionnelle. »

Pour David la biodynamie s’exprime aussi dans le verre « Je constate une pureté de fruit assez magique, le vin n’est pas maquillé. J’ai également pu observer combien la mise en bouteille lors des jours fruits (certains jours dans le calendrier biodynamiste sont qualifiés de jours fruits. ) était primordiale et impactante sur la qualité du vin»

Pour autant David se refuse a écarter la modernité. « Pour moi la biodynamie doit se conjuguer avec une utilisation astucieuse des progrès de la technologie. Je regrette que pour certains, la biodynamie soit une sorte de retour en arrière. J’ai misé sur un chai où se conjugue différents contenants et je n’hésite pas à expérimenter de nouvelles techniques .Je ne prétends pas avoir les réponses mais plus j’avance dans les connaissances techniques que je peux avoir plus je me pose des questions »

Curieux et audacieux, David n’hésite pourtant pas à prendre des décisions fortes pour appliquer les principes auxquels il croit. «  J’ai beaucoup travaillé ma réflexion autour des levures indigènes par exemple. Pendant les vendanges quelqu’un est dédié exclusivement à la réalisation des pieds de cuve. Et les années passants , j’identifie de plus en plus finement les parcelles qui auront les levures les plus fermentaires. «  Son engagement n’est pas seulement environnemental mais aussi sociétal. «  Les saisonniers qui travaillent dans mes vignes sont les mêmes chaque année. Je les paye correctement et je fais en sorte qu’ils s’épanouissent dans leurs missions »

David met également un point d’honneur à produire des vins à des tarifs accessibles. «  Le vin c’est le partage il faut qu’il y en ai pour tous » Résultat une gamme avec des vins au rapport qualité/prix particulièrement avantageux (entre 8€ et 10€ ttc pour des vins en biodynamie et dont certains sont produits sans soufre)

Lorsque je l’interroge sur ces projets à venir, la suite à un nom : Morgan, son fils. David évoque avec moi le bonheur qu’il prend a travailler avec lui. Et à travers ses mots c’est la fierté du père qui perce et me touche. « Il est encore très jeune (Morgan a 21 ans) mais on prend toutes les décisions ensemble. Je ne néglige pas sa parole car pour moi il est l’avenir. Il a embrassé les aspects techniques de ce métier de façon assez pointue. Il ne lui reste plus qu’à développer la partie commerciale. »

Le domaine Pascal Lambert: Pionniers de la biodynamie au service de leurs terroirs

J’ai découvert le domaine Pascal Lambert, au salon Biotop à Montpellier, il s’agit d’un salon off en marge du salon millésime bio. Plus petit et assez pointu, notamment avec beaucoup de domaines portant des vins dits natures. Malheureusement, ce jour là, j’ai goûté énormément de vins déviants mais au milieu de tout cela le domaine Pascal Lambert qui produit des vins de chinon purs, nets et construits. J’ai tout de suite eu envie de travailler avec le domaine.

Aujourd’hui je suis heureuse de vous en apprendre un peu plus sur ce domaine qui est devenu en une trentaine d’années seulement, une référence dans le monde de la biodynamie ligérienne.

Parti de rien, c’est en 1987 que Pascal Lambert s’installe au dessus du village de Cravant-les-Coteaux, avec sa femme, son chien et sa caravane. Il réussit à récupérer au départ 5 hectares et construit son chai. Les premières années sont difficiles, mais assez rapidement Pascal fait le choix de produire des vins pointus en travaillant sur des terroirs sélectionnés et des élevages aboutis capable de mettrent en avant les sélections parcellaires.

Pour cela, il n’hésite pas à aller chercher des terroirs qui l’intéresse. Il complète les sols de plaine alluvionnaires de Cravant-les-coteaux en faisant l’acquisition de nouvelles vignes à Chinon, des calcaires à silex ou encore des calcaires jaunes réputés pour être de grands terroirs. Parallèlement, il affine sa vision de la viticulture et souhaite rapidement, dès les années 90, se tourner vers une autre culture. Il commence, dès cette époque à supprimer les désherbants et les insecticides, c’est en 2005 qu’il est certifie en agriculture biologique et à la fin des années 2000 qu’il passe en biodynamie. A ce moment là, le domaine connaît une véritable croissance tant dans sa taille que dans sa notoriété. Il est aidé par les salons renaissance de Nicolas Joly et le Grenier Saint Jean qui s’opposent aux grands salons du vins de l’époque, et font de la Loire et de certains de ses vignerons une région pionnière dans la viticulture bio et biodynamique.

« Il faut dire que Pascal Lambert croit beaucoup au pouvoir du collectif, il s’engage et se syndicalise. Jusqu’à il y a peu, il était l’administrateur de la Levée de la Loire. Aujourd’hui nous avons créé une association  avec d’autres domaines biodynamistes pour mettre en commun les préparations» m’explique Eric Taunay responsable commercial de l’exploitation depuis dix ans qui s’est fait une place au milieu de la famille Lambert. C’est assez rare un commercial qui reste aussi longtemps dans un domaine. Lorsque je l’interroge, Eric me répond avec franchise « Je m’y sens bien, je peux toucher à d’autres aspects que le commercial pur et ici il y a une philosophie très humaine. Nous avons par exemple un potager commun que nous partageons avec d’autres salariés. Pascal a un fort caractère mais c’est quelqu’un de curieux, ouvert. C’est plaisant. »

Petit à petit Pascal imprime sa forte personnalité dans ses vins . Il affine également les conditions d’élevage des vins. «Il y a 15 ans l’élevage c’était principalement du bois, aujourd’hui on trouve des amphores, des cuves ovoïdes, du grès qui permettent des échanges très intéressants entre le vin et l’air »

Aujourd’hui la gamme compte treize cuvées, sept terroirs différents et de nombreux contenants en bois en terre en ciment ou encore en inox. Cette gamme large permet de trouver des vins pour tous les goûts
Un travail pointu tant dans les vignes que dans la cave qui se retrouve dans le verre avec de jolis vins désaltérants et gourmands aux notes de fruits rouges et salivants tel les Perruches et des vins beaucoup plus ambitieux comme la cuvée « Les Puys », sélection parcellaire issue d’un terroir de calcaire à craie jaune. très bel équilibre entre des fruits bien mûrs et une bouche veloutée avec néanmoins une pointe de tension.

Bonne nouvelle, Beatrice et Pascal Lambert ont un fils, Antoine, ancien boulanger qui a déjà intégré l’équipe et sera prêt le moment venu à prendre la relève. Ce qui laisse présager encore de beaux millésimes au domaine .

Coste Moure

J’ai rencontré Eudes Gerardin par l’intermédiaire de Benoît Locatelli, il y a plus d’un an. A ce moment là je n’envisageais pas d’intégrer une nouveauté à la sélection. Et même s’il est toujours plus facile de travailler avec des gens dont l’envie est réciproque, c’est surtout son enthousiasme et sa foi en son jeune domaine qui ont achevé de me convaincre de donner une chance a ce vignoble. J’ai bien fait ,car non seulement les vins sont bons et prometteurs, mais c’est une histoire de rencontres, d’amitiés et de solidarité vigneronne comme je les aime.

Coste Moure est un domaine de 4,5 hectares et demi situé à Gajan entre Nîmes, Uzès et Quissac. C’est un plateau calcaire perché sur le Mont Duplan.
C’est un jeune domaine crée en 2018. Par Eudes Gerardin, Romain Tissier et Mickaël Fabre.

Lorsqu’Eudes Gerardin s’installe dans le Gard c’est pour travailler en tant que chef de culture au Château Nages propriété de Michel Gassier. (Grand domaine, c’est l’un des fleurons de l’appellation Costières de Nîmes.) Il s’installe alors à Gajan avec sa famille. Il y découvre le Mont du Camp « J’ai tout de suite eu un véritable coup de cœur pour ce lieu. C’est une colline arborée de garrigues, de pins…Avec une belle végétation luxuriante. C’est un terroir profond et calcaire qui offre la possibilité de produire des vins du Sud avec de la fraîcheur. L’endroit est exposé Est et Nord, balayé par le Mistral et entouré de Garrigues. Ce qui nous protège assez judicieusement des parasites et donc des maladies » M’explique Eudes. Il sympathise donc avec les gens du coin et fait la connaissance de Renaud André, retraité, qui exploite des vignes en tant que coopérateur, mais en vinifie une petite partie lui-même au domaine de la Barque.. « Là encore je suis impressionné par la qualité des vins qu’il produit de manière somme toute artisanale »
En 2018 Renaud André souhaite lever le pied et décide de libérer, une partie des vignes, du fermage qu’il exerçait.

Le propriétaire Romain Tissier n’est pas viticulteur mais originaire du lieu et amoureux du coin lui aussi. Il souhaite valoriser ces vignes et en faire quelque chose. Il en parle alors à Mickaël Fabre viticulteur qui propose à Eudes de participer à l’aventure et de créer ensemble un domaine viticole. (Aujourd’hui ils ne sont plus que deux, puisque Mickaël Fabre a décidé de quitter l’aventure)

« J’ai tout de suite été emballé par le projet, c’était l’opportunité que j’attendais pour me réaliser, mais j’avais besoin d’en parler avec Michel Gassier. » Celui-ci a réagi avec beaucoup d’intelligence et d’élégance « Il a tout de suite compris que j’étais un gars de la terre et que j’avais un désir profond de faire mon propre vin.  Il s’est comporté en ami, il m’a proposé de prendre part à cette aventure en parallèle de mon travail au domaine, et nous apporte aujourd’hui un précieux soutien logistique puisque nous vinifions et stockons les vins au Château de Nages. »

Côté vins, la gamme compte aujourd’hui trois vins, un de chaque couleur. Tous en Vin de France  » Au départ, mes associés étaient réticents à sortir du systeme rassurant des appellations, mais pour moi c’était l’opportunité de jouer la carte de la créativité et de la liberté. »

Le blanc 100% Macabeu millésime 2020 est une réussite avec une belle matière, de la chaire, mais une finale salivante et de beaux amers. Le rosé est un rosé très fin, délicat et juteux aux notes de rose, de pêche et de cédrat. Enfin le rouge est un assemblage de syrah grenache qui démontre le potentiel du domaine Coste Moure a produire des vins frais et élégants. Loin des vins méditerranéens parfois très (trop?) solaires.

Et pour avoir eu la chance de goûter les millésimes précédents il ne fait aucun doute que le style va continuer à s’affirmer. C’est aussi la volonté du vigneron « Nous avons planté de nouveaux cépages et l’objectif des années à venir est aussi de réfléchir à la préservation de nos ressources en eau. Nous travaillons sur des solutions comme le couvert végétal et des panneaux foliaires ouverts. Nous sommes également intéressés par la polyculture et nous avons engagé la plantation de chênes truffiers« 

De beaux projets en perspective.

Les vins oranges en cinq questions

 A l’heure où vous lirez ces lignes se tient Millésime bio 2023, le grand salon professionnel des vins bios. Depuis quelques années déjà, la grande tendance sur les stands de vignerons, ce sont les vins oranges. Si ce n’est pas déjà le cas, vous verrez d’ici peu les magasins de vos cavistes se garnirent de ces vins un peu spéciaux, a mi-chemin entre vin rouge et vin blanc. Voici donc cinq questions pour comprendre cette nouvelle technique.

1) Un vin orange qu’est ce que c’est ? 

Un vin orange est un vin produit avec des raisins blancs mais vinifié comme un vin rouge. Dans le processus de fabrication des vins rouges on fait macérer les peaux avec le jus du raisin, pour lui apporter la couleur mais aussi les tannins et des précurseurs d’arômes. Pour obtenir un vin blanc on sépare le jus, des peaux. Pour obtenir un vin orange il s’agit donc d’une macération des peaux du raisin avec le jus . Cette macération peut durer de quelques jours à quelques semaines selon le profil choisi

2) Peut-on faire du vin orange avec tous les vins ? 

Vous l’aurez compris , on ne peut faire un vin orange qu’avec des raisins à peaux blanches. Pour ce qui est du type de cépage préconisé , c’est une décision de vigneron. Par exemple, Benoit Gil au domaine Monplezy à choisi le cépage vermentino, un cépage à la peau fine qui produira un vin orange délicat aux arômes subtils. Tandis que Paul Riefle en Alsace à choisi une macération de gewurztraminer, cépage extrêmement aromatique dont la vinification renforcera les arômes et apportera des notes intenses d’écorces d’oranges et d’épices douces.

3) Pourquoi c’est souvent cher ?

A mon sens, il n’y a aucune raison a ce qu’un vin orange soit plus cher que le reste de la gamme, ce n’est ni une rareté, ni une prouesse technique. Ce qui peut faire monter les couts de production ce sont éventuellement les contenants utilisés pour le produire et la durée de l’élevage. Renseignez vous bien sur le mode de production.

4)  Est ce que c’est bon ?

C’est subjectif et cela dépend de nombreux facteurs, quoiqu’il en soit les vins oranges proposent souvent un registre aromatiques assez large et plutôt atypique. Cela peut être déroutant pour les non initiés. Mais si c’est bien fait c’est excellent. Régulièrement je retrouve dans ces vins des notes d’agrumes et un peu d’amertume . J’apprécie l’amertume dans les vins quand elle est justement dosée, cela donne allonge, fraicheur et élégance. C’est le cas de la cuvée Contact en 100% chenin du Fief Noir qui me semble particulièrement réussie.

5) Quels accords mets et vins ?

A mes yeux les vins oranges sont typiquement des vins de sommeliers car l’on peut faire des accords très intéressants avec, mais ce sont des vins tanniques aux arômes intenses il faut un plat qui puisse soutenir le vin . La cuisine indienne assez relevée en épices par exemple pourra être un match parfait.

Famille, je vous aime

Travailler en famille est très commun dans le monde agricole et la viticulture ne fait pas exception à la règle. Pendant des décennies, les femmes ont collaboré gratuitement aux exploitations de leur mari. Elles n’avaient alors aucun statut, aucune protection sociale. Il faut attendre 1991 pour qu’elles obtiennent le statut de « conjoint collaborateur ». Côté descendance, si nombre d’enfants préfèrent aujourd’hui construire une carrière ailleurs, certains choisissent encore de reprendre le flambeau.

Les vigneron.ne.s avec lesquel.le.s je travaille sont parfois devenu.e.s des ami.e.s. En les écoutant, je sais que ce n’est pas un long fleuve tranquille. Pour certains, c’est même quelquefois extrêmement douloureux et la relation devient tellement conflictuelle que la seule solution est de partir pour reconstruire autre chose ailleurs. Car il se joue bien plus qu’une simple relation de travail quand il s’agit de sa mère, son frère, son cousin ou son conjoint.

Pourtant, lorsque les rapports sont sereins et équilibrés, travailler en famille offre le plus grand des luxes selon moi : la confiance. C’est vraiment ce qui m’a frappé lorsque j’ai interrogé les vignerons pour cet article. Anne Sutra de Germa du domaine Monplézy à Pézenas (Hérault) le résume ainsi : « en cas de pépin, le noyau dur, c’est nous ».

Au Mas Baudin, à Monfrin (Gard), Amélie Bonnard travaille avec son frère Vincent, épaulés par leurs parents aujourd’hui retraités. Lorsque je l’interroge sur les avantages et les inconvénients de travailler en famille, elle me répond : « Selon moi il n’y a que du positif. Avec mon frère nous sommes très proches, un peu comme des jumeaux. Cette proximité facilite énormément les échanges, la communication. Je me sens en confiance totale et nous sommes très complémentaires. J’ai parfois plus confiance en son jugement que dans le mien ».

Au domaine Belle en Crozes-Hermitage, Valentin Belle et son frère Guillaume ont intégré l’entreprise mais les parents sont encore présents. « Mon grand-père était coopérateur, il a attendu que mon père termine ses études pour s’installer en cave particulière. Aujourd’hui ma mère, mon père, mon frère et moi travaillons au domaine et, depuis deux, trois ans, les décisions se prennent de manière collégiale. » précise Valentin. Lorsque j’évoque le conflit de générations en cas de désaccord, il n’est pas tout à fait d’accord : « Non, je ne crois pas que ce soit un conflit de générations. Mes parents sont bien conscients qu’il faut faire évoluer les choses mais, en même temps, ils ont encore envie de pouvoir mettre leur grain de sel. C’est normal. »

Quand je les interroge sur la résolution des conflits, chacun sa méthode. Certains prônent le dialogue, le temps, quand d’autres préfèrent prendre une décision coûte que coûte. Mais il y a des règles qui reviennent, notamment celle de laisser de la liberté et de l’autonomie aux derniers arrivés. Une des recettes du succès selon Matthieu Baillette du Pas de la Dame, en appellation Malepère. Matthieu est associé à Franck Roger, son beau-frère. « Lorsque nous avons repris le domaine, mes parents ont pris du recul du jour au lendemain. Ils n’interviennent plus dans le processus de décision. Si nous avons besoin d’un conseil, ils sont là, mais c’est tout. » Au domaine Monplézy Anne Sutra de Germa voit les choses de la même manière : « D’abord il faut que les rôles soient bien définis et que les uns n’empiètent pas sur le travail des autres. Aujourd’hui, la vinification, c’est Benoit [son fils ]. On peut donner notre avis mais, maintenant, c’est lui le boss. Ensuite il faut accepter de s’effacer au profit des jeunes générations. » Lucide, elle poursuit : « Nous sommes très fiers de Benoit. On a conscience de la difficulté de ce métier avec la sécheresse, l’inflation, les années à venir ne seront pas forcément un cadeau que nous faisons à notre fils. Il faut qu’il puisse se sentir pleinement investi. » La cuvée Calcaire Nord signée Benoit Gil et non domaine Monplézy en est le parfait exemple.

La transmission d’une exploitation agricole pose aussi des questions d’équité au sein d’une famille. Notamment lorsque certains enfants ne sont pas impliqués dans l’activité. « Là aussi, pour que ça fonctionne, il faut que les choses soient très claires. Qu’il n’y ait pas de surprise, pas d’ambiguïté » m’explique Matthieu Baillette. « Nous avons créé une société avec Franck qui loue les terres de la famille. » Pour Amélie Bonnard, cela posera évidemment question au moment de la succession mais il n’y a pas de tabou. Ses frères et sœurs qui ne travaillent pas sur l’exploitation ont parfaitement conscience des sacrifices que cela a représenté pour Vincent et elle, mais elle se réjouit de voir sa sœur qui vit en Bretagne et office en tant que bouchère continuer à dire « notre vin ». Pour Anne Sutra de Germa c’est très important aussi d’y réfléchir en amont. « De mon côté, j’ai déjà tout transmis » m’explique-t-elle.

Quoi qu’il en soit, pour moi, les histoires de famille sont autant d’aventures humaines complexes, riches et sensibles que j’aime vous raconter au travers des délicieuses cuvées qui les incarnent

Le domaine Chapelle, l’art de sublimer la diversité des sols

C’est à Santenay, sur la Côte de Beaune, que le domaine Chapelle voit le jour. Il appartient à la famille Chapelle depuis 1907 et c’est aujourd’hui Jean-François Chapelle et son fils Simon, respectivement 4ème et 5ème génération, qui œuvrent à son développement. Chaque génération a apporté sa pierre à l’édifice. Après-guerre, Roger Chapelle opte pour la mise en bouteille au domaine et la recherche d’une clientèle directe. En 1987, Jean-François et son épouse Yvette reviennent au domaine après une expérience professionnelle en Champagne et dans la Vallée du Rhône. En 2002, il fait le choix judicieux de développer une petite sélection de vins de vignerons amis, permettant ainsi au domaine d’étendre sa gamme. Enfin, en 2009, le domaine obtient la certification en agriculture biologique. Il couvre aujourd’hui 18 hectares situés notamment à Santenay, Ladoix et Aloxe-Corton sur la Côte de Beaune.

L’appellation Santenay a toujours été une appellation d’un excellent rapport qualité prix. Moins réputée que les Meursault et les Pommard, elle offre pourtant de vraies pépites. Jean-François Chapelle m’explique : « C’est une appellation assez vaste en terme de surface et historiquement à l’origine d’une production importante. Dans le temps, les négociants utilisaient le Santenay par coupage pour produire des Côtes de Beaune. Peu à peu, certains — comme mon père—, ont fait le choix de s’orienter vers la qualité. Mais ce plis qualitatif a été pris plus tardivement que dans des appellations voisines, ce qui peut expliquer le déficit actuel de notoriété. »

Ici, une géologie complexe offre de grandes diversités de styles. « À Santenay, on peut trouver le style Volnay ou le style Pommard, à savoir des sols marneux qui produisent plutôt des vins capiteux ou des sols calcaires à l’origine d’un style plus fin, plus aérien. »

La gamme de Jean-François Chapelle est large et permet effectivement aux amateurs de Bourgogne de trouver leur bonheur.

Le domaine a beaucoup souffert des aléas climatiques des derniers millésimes et peu de vins blancs sont encore disponibles à la vente. Pourtant, je ne peux m’empêcher de vous parler de la cuvée Les Gravières en Santenay blanc Premier cru, une parfaite réussite et une véritable synthèse du savoir-faire bourguignon et de la modernité de l’équipe. Il s’agit d’un Chardonnay vinifié en vendange entière, avec peu de soufre ajouté dont l’élevage est parfaitement maitrisé. Au nez, de belles fleurs blanches et des notes torréfiées. En bouche, le vin dévoile une belle matière ample et longue et une certaine puissance qui laisse présager un potentiel de garde.

Le domaine Laporte, l’art de révéler les expressions du Sauvignon

Je cherchais depuis longtemps un très bon Sancerre qui soit bio. Ce sont les élèves du Greta qui m’ont recommandé le domaine Laporte lors du dernier salon Millésime bio.

Si toute la gamme est superbe, cohérente et inspirée, j’ai eu un gros coup de cœur pour la cuvée Le Rochoy, un Sauvignon blanc produit sur un terroir de silex. Ce vin a une élégance folle. Vinifié en levures indigènes et avec un batonnage, la minéralité s’exprime pleinement et elle est enveloppée d’une aromatique mûre et précise aux notes de fruits jaunes et de fleurs blanches.

Le domaine Laporte a été créé et développé dans les années 1950 par René Laporte. Ce dernier décide, en 1986, de le vendre à la famille Bourgeois, une grande famille de vignerons dans le Sancerrois qui produit notamment les vins du Clos Henri. La vente est conclue avec une condition : que l’identité et le nom du domaine perdure. C’est ainsi que le domaine a gardé son nom, ainsi qu’une équipe au chai, à la vigne et au commercial qui permettent de faire perdurer ses spécificités : une culture bio qui accorde une grande place à l’expression du terroir et qui limite les interventions en cave et l’élevage.

Le domaine Laporte couvre 21 hectares, tous cultivés en agriculture biologique au cœur de l’appellation Sancerre à Saint-Satur. Les vins — tous en AOP Sancerre et dans les trois couleurs — sont vinifiés séparément en fonction de leur terroir. Les vignes de la cuvée La Comtesse poussent sur des marnes kimméridgiennes, tandis que Le Rochoy est produit sur un sol de silex. Le cépage Sauvignon est à l’origine des blancs, le Pinot noir des rouges.

Cap sur la Nouvelle Zélande

Le domaine produit également des vins en Nouvelle Zélande et j’ai souhaité en savoir plus. C’est Aurélien Cadoux, responsable commercial du domaine qui me raconte : « la famille a cherché à s’étendre sur des terroirs propices au Sauvignon. Ils ont sillonné l’Afrique du Sud et l’Amérique du Sud mais c’est finalement en Nouvelle Zélande qu’ils se sont installés, dans la très réputée région de Malborough. »

Aurélien poursuit : « Il y a deux terroirs très intéressants sur lesquels sont plantées nos vignes en Nouvelle Zélande : Broad Bridge et Greywacke. » Le terroir de Broad Bridge, ce sont des argiles gris-brun tachetées d’ocre qui indiquent une teneur importante en fer. Les vins provenant de ces sols ont du corps, des arômes marqués et une belle longueur en bouche. Quant au terroir de Greywacke, ce sont des sols graveleux provenant de l’ancienne rivière Wairau qui peuvent descendre à 1,50 mètres de profondeur, obligeant la vigne à lutter pour sa survie, offrant ainsi des fruits de meilleure qualité.

Lorsque je l’interroge sur la vinification, Aurélien m’explique qu’ils ne cherchent pas à obtenir des profils standardisés propres aux vins de ce pays : « Nous essayons d’apporter un savoir-faire français. Par exemple, nous pratiquons des fermentations plus basses que ce qui se fait généralement là-bas. Cela fait moins ressortir le côté variétal du Sauvignon. Nos vins sont plus discrets au nez, mois exubérants, mais en bouche il y a plus de matière. » Autre différence de taille avec les vignerons locaux : ils n’irriguent pas, considérant que les vins n’en n’ont pas besoin. « Nous cherchons à faire des vins de belles factures, pas de la quantité bon marché. C’est pourquoi nous avons une densité de pieds plus importantes, 6 000 pieds hectares pour le domaine contre 2 000 pieds en moyenne en Nouvelle Zélande. » (Plus de pieds de vignes par hectare signifie moins de raisins mais des raisins plus concentrés).

Un French touch qui permet de produire des vins séduisants, gourmands mais racés. Cocorico !

Le domaine de la Jaufrette, l’art d’avoir de la bouteille

Frédéric Chastan, © Paris Wine Company

Dernier domaine intégré à la sélection de Vins d’Avenir, j’ai eu un véritable coup de cœur pour le parti pris singulier de ce vigneron qui a choisi, à rebours des vins de plaisirs qui inondent le marché actuellement, d’élaborer des vins taillés pour la garde. Si vous lisez régulièrement cette newsletter, vous savez que je suis moi aussi très sensible aux vins de garde ou « de mémoire » comme dirait Christian Chabirand et qui sont trop peu présents sur le marché.

Le domaine est situé aux portes d’Orange. Il compte quatre appellations dont trois crus de la Vallée du Rhône méridionale réparties en deux hectares et demi de Châteauneuf-du-Pape, cinq de Gigondas, neuf de Vacqueyras et le reste en Côtes du Rhône, soit un total de 25 hectares. Domaine familiale depuis cinq générations, historiquement implanté à Gigondas, ce sont les grands-parents de Fréderic Chastan, l’actuel propriétaire du domaine, qui s’implantent à Orange et permettent à l’exploitation d’inclure Côtes du Rhône et Châteauneuf à leur répertoire.

Frédéric et sa femme Caroline travaillent ensemble. Ces gens discrets mais déterminés insufflent une vision forte aux styles des vins. Lorsque la dégustation commence, je parcours la liste des vins et je m’exclame : « chouette, vous avez des vins vieux ! ». Réponse de l’intéressé : « Ce ne sont pas des vieux vins, ce sont des vins à boire ! » En effet, Frédéric a la conviction que les vins de la Vallée du Rhône sont bus trop jeunes. Ses rouges à lui passent minimum cinq ans en cave avant d’être mis en vente. Le résultat est bluffant car ils ne paraissent pas fatigués, bien au contraire ! Preuve qu’il est possible d’avoir de la bouteille… sans prendre une ride.  Cerise sur le gâteau, leurs prix restent très accessibles : environ 32€ TTC pour le Châteauneuf-du-Pape et autour de 12€ pour le Côtes du Rhône.

La dégustation

Le Côtes du Rhône 2015 offre un premier nez un peu crayeux, de pivoine, et aux notes de réglisse. En bouche, le vin est structuré avec une belle allonge. Les vins ne sont pas éraflés comme c’est le cas de l’immense majorité d’entre eux.

Le Gigondas 2012 est encore superbement vibrant. Le nez, puissant, embaume les notes de mures et de groseille. Les tannins, bien qu’assouplis, sont encore présents et laissent à penser que le vin en a encore « sous la pédale ».

Le Châteauneuf-du-Pape 2011 est une très belle démonstration de ce que produit un Grenache — il représente 90 % de l’encépagement — à qui on a laissé un peu de temps. C’est un vin avec une belle patine, aux notes de cannelles et d’épices douce. Les tanins sont soyeux, le grain est fin et la sensation en bouche est extrêmement agréable.

J’aimerais également vous dire un mot sur les deux vins blancs produits par le domaine. Un Côtes du Rhône 2019 baptisé « Blanc à la Cale » d’après l’expression provençale qui signifie « à l’abri du vent » car la parcelle à l’origine vin est protégée du Mistral, entre des haies de cyprès et d’oliviers. Cet assemblage de Clairette et de Grenache blanc est puissant avec des parfums de fruits jaunes, pêche, ananas, et un bel équilibre entre gras, amertume et acidité. Mais c’est surtout le Vacqueyras blanc 2015 — une rareté puisque les blancs ne représentent que 5 % de l’appellation — qui a retenu toute mon attention. Le jus est gracieux, délié en bouche, avec des notes de miel et de pain au lait soutenues par une belle minéralité.

Les vins du domaine de la Jaufrette prouvent qu’il est possible de produire encore de beaux vins de garde. Mais il n’y a pas de secret : façonner des vins de cette trempe exige un travail précis dans les vignes, une vendange manuelle, des macérations longues et de la patience.

La Java du Sud Ouest

Les sept vignerons de la Java.
Les sept vignerons. @ www.java-sud-ouest.fr

Originaire d’Aveyron, il est plus que temps que je vous parle des vins du Sud-Ouest. Et pour cela, j’ai interrogé Laurent Alvarez, le directeur commercial de la Java du Sud Ouest, une association de sept familles vigneronnes installées dans les plus belles appellations de la région : la famille Ribes au Domaine le Roc en Fronton, la famille de Conti au Château Tour des Gendres en Bergerac, la famille Riouspeyrous au Domaine Arretxea en Irouléguy, la famille Verhaegue au Château du Cèdre en Cahors, la famille Laplace au Château Aydie en Madiran, la famille Teulier au Domaine du Cros en Marcillac et Charles Hours au Clos Uroulat en Jurançon.

Laurent, engagé corps et âme (et palais) pour ce projet depuis ses origines en 2008, nous en dit plus sur les vins, la philosophie et le fonctionnement de la plate-forme. Entrez dans la danse !

Les sept appellations de La Java du Sud Ouest
Les sept appellations. @ La Java du Sud Ouest

Coincés entre le piémont pyrénéen et le massif central, les vins du Sud-Ouest n’ont a priori pas grand-chose en commun : microclimats, cépages originaux ou encore sols divers produisent des vins aux styles très variés. Qu’est-ce qui finalement réuni les vins du Sud-Ouest ?

Effectivement, il existe de grosses différences de topographie et de cépages, qui sont tous autochtones : le Mansois à Marcillac, le Malbec à Cahors, la Négrette à Fronton, le Tannat à Madiran, le petit et gros Manseng en Jurançon ou encore la Muscadelle à Bergerac. Culturellement, il y a un semblant d’unité, un art de vivre commun, mais un Aveyronnais reste bien différent d’un Béarnais ou d’un Gascon. Finalement, ce qui nous unit, ce sont nos différences. Nous devons porter haut et fort nos spécificités. Les vins du Sud-Ouest ont tous des identités fortes, à rebours de ce qui se pratique aujourd’hui avec les vins de cépages standardisés.

Il est intéressant de noter qu’on ne parle pas de vins du Sud Est ou de vin de l’Est. Historiquement, les vins du Sud-Ouest ont été définis par opposition à ceux de Bordeaux. Depuis le rattachement de la ville à l’Angleterre en 1154, les vins trouvent outre-Manche un formidable débouché. Mieux (ou pire pour leurs voisins), en 1241, Henri III Plantagenet leur accorde le privilège de la vente en primeur. Les vins situés en amont du diocèse de Bordeaux sont bloqués jusqu’à Noël, date à laquelle les marchands d’Europe du Nord sont déjà repartis. Les vins du Haut-Pays aquitain ne peuvent ainsi être embarquées qu’au printemps, une fois les tempêtes hivernales du golfe de Gascogne et de la Manche calmées, au risque de se gâter avant leur exportation tardive. Ils sont de plus lourdement taxés. Les vignobles périphériques ont ainsi été étouffés par cet avantage qui va durer cinq siècles !

Est-ce que tu considères qu’aujourd’hui encore les vins du Sud-Ouest souffrent d’un déficit de notoriété ?

Aujourd’hui le vin s’est démocratisé et il y a de la place pour tout le monde, donc aussi pour les vins du Sud-Ouest. Mais, soyons honnête, ce ne sont pas des vins que l’on achète, ce sont des vins qu’on vend. Ils peuvent apparaître rustiques, avec des tannins amers. Cependant, aujourd’hui, sommeliers et cavistes sont très curieux et à l’écoute de ce qui se fait dans la région.

La Java du Sud Ouest est l’un des plus anciens groupements de vigneron. Qu’est-ce qui fait que cela fonctionne pour vous ?

Tout d’abord, la structure juridique. La Java, c’est un Groupement d’Intérêt Économique (GIE) et non une société commerciale. Elle n’a donc pas vocation à réaliser des bénéfices « pour elle-même », un peu comme une association. C’est donc l’intérêt commun qui prime sur l’intérêt individuel. On recherche de l’équité. Cela nécessite une certaine tournure d’esprit de nos vignerons qui sont avant tout des amis qui partagent les mêmes valeurs. La Java, c’est un kolkhoze communiste capitaliste. Tout le monde ne peut pas y entrer. Nous avons régulièrement des demandes mais peu aboutissent.

Je veux faire découvrir les vins du Sud-Ouest lors d’un repas. Que sers tu et avec quoi ?

Pour l’apéritif, je sers la cuvée Marie du Clos Uroulat, carafée un quart d’heure, avec une chiffonnade de jambon Noir de Bigorre par exemple. En entrée, avec un tartare de thon snacké, je débouche La conti-ne Périgourdine du Château Tour des Gendres (AOP Bergerac). Issu d’une vieille parcelle de Muscadelle, c’est un vin ample et aérien, de la dentelle…

En plat principal, avec une belle viande rouge, j’ouvre le Cèdre à Cahors. C’est un vin précis, équilibré et aux tannins soyeux. Avec un fromage à pâte persillée, on peut s’amuser avec un Jurançon doux, pour faire un accord d’opposition. Enfin, en dessert, j’accompagne une salade de fruits de bulles légères et gourmandes comme celles de Roc’ambulle du domaine Le Roc (Fronton).

Quelles sont les actualités de la Java ?

En 2020 est née une cuvée un peu particulière. Appelée Cros’Roc, elle est le fruit de l’amitié de Frédéric Ribes du Roc (à Fronton) et de Philippe Teulier du Cros (à Marcillac). Cela faisait un moment qu’ils avaient envie d’assembler du Fer Servadou et de la Négrette. Nous avions déjà réalisé plusieurs tests et ils se sont lancés. Cette cuvée représente pour moi l’illustration même des principes fondamentaux de la Java. Ces deux amis n’avaient plus rien à prouver mais juste l’envie de se faire plaisir. Il en résulte un assemblage 60 % Négrette et 40 % Fer Servadou joliment épicé, nerveux, droit, avec des notes de poivre et du croquant.