La vigne est une liane qui, naturellement, se développe, s’allonge et se raméfie. Il faut donc la tailler pour que la production de fruits l’emporte sur celle des bois. La taille représente la principale tâche du vigneron durant les mois d’hiver, lorsque la vigne est en repos végétatif. Il s’agit d’un travail rude, qui nécessite de passer de longues heures accroupi ou penché dans le froid. C’est aussi un exercice très complexe, qui mélange réflexion et intuition. D’autant que les enjeux sont « de taille » : la conduite de la vigne détermine la quantité et la qualité de la récolte à venir et, en contrôlant la vigueur de la plante, impacte la pérennité des souches.
Si les vignerons continuent à se référer au vieux proverbe « taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de mars », dans les faits, la surface du vignoble décide du début des premiers coups de sécateurs. Pour tailler la trentaine d’hectares du domaine Monplézy, dans Le Languedoc, Anne Sutra de Germa est obligée de démarrer tôt. Pour tailler ses 3,5 hectares de Châteauneuf-du-Pape, Bernard Friedmann peut se permettre d’attendre que les températures se radoucissent. Car une météo plus clémente signifie que la sève, qui descend lorsque la vigne est en dormance, remonte dans les bois. Lorsque l’on la taille, la vigne « pleure » : elle laisse couler de la sève qui agit comme un baume protecteur sur la plaie et une barrière contre les champignons à l’origine des maladies du bois.
Il existe plusieurs types de taille. Celle qui est pratiquée à Châteauneuf-du-Pape est dite « en gobelet ». Le cep est taillé en cinq bras qui forment comme un bol :
« C’est une taille spécifiquement adaptée au Grenache, cépage buissonneux dont les rameaux retombent sur le sol » m’explique Bernard Friedmann. Il ajoute : « cette taille offre un meilleur ensoleillement et permet un passage de l’air optimale. C’est une taille courte adaptée aux vents violents. En outre, les fruits sont protégés sous le végétal des rayons ardents du soleil provençal. » Cette taille noble est contraignante : les vignes ne peuvent pas être palissées (c’est-à-dire relevées entre deux fils) et elles doivent être récoltées à la main. Ses Syrah sont taillées en Guyot, une taille répandue dans de nombreux vignobles qui permet de palisser la vigne, ce qui rend possible de mécaniser certains travaux.
Bernard Friedmann est un vigneron exigeant et méticuleux. Quand la plupart de ses collègues taillent avec des sécateurs électriques, lui préfère toujours la cisaille. Il défend son choix : « La lame de la cisaille est arrondie et peut épouser complétement la plante. Elle n’écrase pas la fibre du bois et détériore moins les vaisseaux qui permettent à la sève de monter dans la plante. C’est moins dangereux : impossible de se couper avec une cisaille. C’est plus économique aussi : alors que les sécateurs tombent en panne, une cisaille, c’est increvable ! ». Lorsque j’objecte que c’est probablement plus physique, Bernard me répond, amusé : « Certes, mais comme d’ici quelques années j’imagine qu’on nous dira que les boitiers de nos sécateurs électriques accrochés toute la journée à la ceinture sont nocifs, alors… ».
En matière de taille, il existe la théorie et la pratique. Chaque pied est différent et nécessite de s’adapter. Il existe également autant de méthode de taille que de tailleurs. Le vigneron de Châteauneuf reconnaît bien volontiers qu’il préfère de plus en plus déléguer ce travail difficile à un de ces employés particulièrement doué. Un aveu qui n’est pas monnaie courante dans le monde du vin …