A l’heure où vous lirez ces lignes se tient Millésime bio 2023, le grand salon professionnel des vins bios. Depuis quelques années déjà, la grande tendance sur les stands de vignerons, ce sont les vins oranges. Si ce n’est pas déjà le cas, vous verrez d’ici peu les magasins de vos cavistes se garnirent de ces vins un peu spéciaux, a mi-chemin entre vin rouge et vin blanc. Voici donc cinq questions pour comprendre cette nouvelle technique.
1) Un vin orange qu’est ce que c’est ?
Un vin orange est un vin produit avec des raisins blancs mais vinifié comme un vin rouge. Dans le processus de fabrication des vins rouges on fait macérer les peaux avec le jus du raisin, pour lui apporter la couleur mais aussi les tannins et des précurseurs d’arômes. Pour obtenir un vin blanc on sépare le jus, des peaux. Pour obtenir un vin orange il s’agit donc d’une macération des peaux du raisin avec le jus . Cette macération peut durer de quelques jours à quelques semaines selon le profil choisi
2) Peut-on faire du vin orange avec tous les vins ?
Vous l’aurez compris , on ne peut faire un vin orange qu’avec des raisins à peaux blanches. Pour ce qui est du type de cépage préconisé , c’est une décision de vigneron. Par exemple, Benoit Gil au domaine Monplezy à choisi le cépage vermentino, un cépage à la peau fine qui produira un vin orange délicat aux arômes subtils. Tandis que Paul Riefle en Alsace à choisi une macération de gewurztraminer, cépage extrêmement aromatique dont la vinification renforcera les arômes et apportera des notes intenses d’écorces d’oranges et d’épices douces.
3) Pourquoi c’est souvent cher ?
A mon sens, il n’y a aucune raison a ce qu’un vin orange soit plus cher que le reste de la gamme, ce n’est ni une rareté, ni une prouesse technique. Ce qui peut faire monter les couts de production ce sont éventuellement les contenants utilisés pour le produire et la durée de l’élevage. Renseignez vous bien sur le mode de production.
4) Est ce que c’est bon ?
C’est subjectif et cela dépend de nombreux facteurs, quoiqu’il en soit les vins oranges proposent souvent un registre aromatiques assez large et plutôt atypique. Cela peut être déroutant pour les non initiés. Mais si c’est bien fait c’est excellent. Régulièrement je retrouve dans ces vins des notes d’agrumes et un peu d’amertume . J’apprécie l’amertume dans les vins quand elle est justement dosée, cela donne allonge, fraicheur et élégance. C’est le cas de la cuvée Contact en 100% chenin du Fief Noir qui me semble particulièrement réussie.
5) Quels accords mets et vins ?
A mes yeux les vins oranges sont typiquement des vins de sommeliers car l’on peut faire des accords très intéressants avec, mais ce sont des vins tanniques aux arômes intenses il faut un plat qui puisse soutenir le vin . La cuisine indienne assez relevée en épices par exemple pourra être un match parfait.
Travailler en famille est très commun dans le monde agricole et la viticulture ne fait pas exception à la règle. Pendant des décennies, les femmes ont collaboré gratuitement aux exploitations de leur mari. Elles n’avaient alors aucun statut, aucune protection sociale. Il faut attendre 1991 pour qu’elles obtiennent le statut de « conjoint collaborateur ». Côté descendance, si nombre d’enfants préfèrent aujourd’hui construire une carrière ailleurs, certains choisissent encore de reprendre le flambeau.
Les vigneron.ne.s avec lesquel.le.s je travaille sont parfois devenu.e.s des ami.e.s. En les écoutant, je sais que ce n’est pas un long fleuve tranquille. Pour certains, c’est même quelquefois extrêmement douloureux et la relation devient tellement conflictuelle que la seule solution est de partir pour reconstruire autre chose ailleurs. Car il se joue bien plus qu’une simple relation de travail quand il s’agit de sa mère, son frère, son cousin ou son conjoint.
Pourtant, lorsque les rapports sont sereins et équilibrés, travailler en famille offre le plus grand des luxes selon moi : la confiance. C’est vraiment ce qui m’a frappé lorsque j’ai interrogé les vignerons pour cet article. Anne Sutra de Germa du domaine Monplézy à Pézenas (Hérault) le résume ainsi : « en cas de pépin, le noyau dur, c’est nous ».
Au Mas Baudin, à Monfrin (Gard), Amélie Bonnard travaille avec son frère Vincent, épaulés par leurs parents aujourd’hui retraités. Lorsque je l’interroge sur les avantages et les inconvénients de travailler en famille, elle me répond : « Selon moi il n’y a que du positif. Avec mon frère nous sommes très proches, un peu comme des jumeaux. Cette proximité facilite énormément les échanges, la communication. Je me sens en confiance totale et nous sommes très complémentaires. J’ai parfois plus confiance en son jugement que dans le mien ».
Au domaine Belle en Crozes-Hermitage, Valentin Belle et son frère Guillaume ont intégré l’entreprise mais les parents sont encore présents. « Mon grand-père était coopérateur, il a attendu que mon père termine ses études pour s’installer en cave particulière. Aujourd’hui ma mère, mon père, mon frère et moi travaillons au domaine et, depuis deux, trois ans, les décisions se prennent de manière collégiale. » précise Valentin. Lorsque j’évoque le conflit de générations en cas de désaccord, il n’est pas tout à fait d’accord : « Non, je ne crois pas que ce soit un conflit de générations. Mes parents sont bien conscients qu’il faut faire évoluer les choses mais, en même temps, ils ont encore envie de pouvoir mettre leur grain de sel. C’est normal. »
Quand je les interroge sur la résolution des conflits, chacun sa méthode. Certains prônent le dialogue, le temps, quand d’autres préfèrent prendre une décision coûte que coûte. Mais il y a des règles qui reviennent, notamment celle de laisser de la liberté et de l’autonomie aux derniers arrivés. Une des recettes du succès selon Matthieu Baillette du Pas de la Dame, en appellation Malepère. Matthieu est associé à Franck Roger, son beau-frère. « Lorsque nous avons repris le domaine, mes parents ont pris du recul du jour au lendemain. Ils n’interviennent plus dans le processus de décision. Si nous avons besoin d’un conseil, ils sont là, mais c’est tout. » Au domaine Monplézy Anne Sutra de Germa voit les choses de la même manière : « D’abord il faut que les rôles soient bien définis et que les uns n’empiètent pas sur le travail des autres. Aujourd’hui, la vinification, c’est Benoit [son fils ]. On peut donner notre avis mais, maintenant, c’est lui le boss. Ensuite il faut accepter de s’effacer au profit des jeunes générations. » Lucide, elle poursuit : « Nous sommes très fiers de Benoit. On a conscience de la difficulté de ce métier avec la sécheresse, l’inflation, les années à venir ne seront pas forcément un cadeau que nous faisons à notre fils. Il faut qu’il puisse se sentir pleinement investi. » La cuvée Calcaire Nord signée Benoit Gil et non domaine Monplézy en est le parfait exemple.
La transmission d’une exploitation agricole pose aussi des questions d’équité au sein d’une famille. Notamment lorsque certains enfants ne sont pas impliqués dans l’activité. « Là aussi, pour que ça fonctionne, il faut que les choses soient très claires. Qu’il n’y ait pas de surprise, pas d’ambiguïté » m’explique Matthieu Baillette. « Nous avons créé une société avec Franck qui loue les terres de la famille. » Pour Amélie Bonnard, cela posera évidemment question au moment de la succession mais il n’y a pas de tabou. Ses frères et sœurs qui ne travaillent pas sur l’exploitation ont parfaitement conscience des sacrifices que cela a représenté pour Vincent et elle, mais elle se réjouit de voir sa sœur qui vit en Bretagne et office en tant que bouchère continuer à dire « notre vin ». Pour Anne Sutra de Germa c’est très important aussi d’y réfléchir en amont. « De mon côté, j’ai déjà tout transmis » m’explique-t-elle.
Quoi qu’il en soit, pour moi, les histoires de famille sont autant d’aventures humaines complexes, riches et sensibles que j’aime vous raconter au travers des délicieuses cuvées qui les incarnent
C’est à Santenay, sur la Côte de Beaune, que le domaine Chapelle voit le jour. Il appartient à la famille Chapelle depuis 1907 et c’est aujourd’hui Jean-François Chapelle et son fils Simon, respectivement 4ème et 5ème génération, qui œuvrent à son développement. Chaque génération a apporté sa pierre à l’édifice. Après-guerre, Roger Chapelle opte pour la mise en bouteille au domaine et la recherche d’une clientèle directe. En 1987, Jean-François et son épouse Yvette reviennent au domaine après une expérience professionnelle en Champagne et dans la Vallée du Rhône. En 2002, il fait le choix judicieux de développer une petite sélection de vins de vignerons amis, permettant ainsi au domaine d’étendre sa gamme. Enfin, en 2009, le domaine obtient la certification en agriculture biologique. Il couvre aujourd’hui 18 hectares situés notamment à Santenay, Ladoix et Aloxe-Corton sur la Côte de Beaune.
L’appellation Santenay a toujours été une appellation d’un excellent rapport qualité prix. Moins réputée que les Meursault et les Pommard, elle offre pourtant de vraies pépites. Jean-François Chapelle m’explique : « C’est une appellation assez vaste en terme de surface et historiquement à l’origine d’une production importante. Dans le temps, les négociants utilisaient le Santenay par coupage pour produire des Côtes de Beaune. Peu à peu, certains — comme mon père—, ont fait le choix de s’orienter vers la qualité. Mais ce plis qualitatif a été pris plus tardivement que dans des appellations voisines, ce qui peut expliquer le déficit actuel de notoriété. »
Ici, une géologie complexe offre de grandes diversités de styles. « À Santenay, on peut trouver le style Volnay ou le style Pommard, à savoir des sols marneux qui produisent plutôt des vins capiteux ou des sols calcaires à l’origine d’un style plus fin, plus aérien. »
La gamme de Jean-François Chapelle est large et permet effectivement aux amateurs de Bourgogne de trouver leur bonheur.
Le domaine a beaucoup souffert des aléas climatiques des derniers millésimes et peu de vins blancs sont encore disponibles à la vente. Pourtant, je ne peux m’empêcher de vous parler de la cuvée Les Gravières en Santenay blanc Premier cru, une parfaite réussite et une véritable synthèse du savoir-faire bourguignon et de la modernité de l’équipe. Il s’agit d’un Chardonnay vinifié en vendange entière, avec peu de soufre ajouté dont l’élevage est parfaitement maitrisé. Au nez, de belles fleurs blanches et des notes torréfiées. En bouche, le vin dévoile une belle matière ample et longue et une certaine puissance qui laisse présager un potentiel de garde.
Je cherchais depuis longtemps un très bon Sancerre qui soit bio. Ce sont les élèves du Greta qui m’ont recommandé le domaine Laporte lors du dernier salon Millésime bio.
Si toute la gamme est superbe, cohérente et inspirée, j’ai eu un gros coup de cœur pour la cuvée Le Rochoy, un Sauvignon blanc produit sur un terroir de silex. Ce vin a une élégance folle. Vinifié en levures indigènes et avec un batonnage, la minéralité s’exprime pleinement et elle est enveloppée d’une aromatique mûre et précise aux notes de fruits jaunes et de fleurs blanches.
Le domaine Laporte a été créé et développé dans les années 1950 par René Laporte. Ce dernier décide, en 1986, de le vendre à la famille Bourgeois, une grande famille de vignerons dans le Sancerrois qui produit notamment les vins du Clos Henri. La vente est conclue avec une condition : que l’identité et le nom du domaine perdure. C’est ainsi que le domaine a gardé son nom, ainsi qu’une équipe au chai, à la vigne et au commercial qui permettent de faire perdurer ses spécificités : une culture bio qui accorde une grande place à l’expression du terroir et qui limite les interventions en cave et l’élevage.
Le domaine Laporte couvre 21 hectares, tous cultivés en agriculture biologique au cœur de l’appellation Sancerre à Saint-Satur. Les vins — tous en AOP Sancerre et dans les trois couleurs — sont vinifiés séparément en fonction de leur terroir. Les vignes de la cuvée La Comtesse poussent sur des marnes kimméridgiennes, tandis que Le Rochoy est produit sur un sol de silex. Le cépage Sauvignon est à l’origine des blancs, le Pinot noir des rouges.
Cap sur la Nouvelle Zélande
Le domaine produit également des vins en Nouvelle Zélande et j’ai souhaité en savoir plus. C’est Aurélien Cadoux, responsable commercial du domaine qui me raconte : « la famille a cherché à s’étendre sur des terroirs propices au Sauvignon. Ils ont sillonné l’Afrique du Sud et l’Amérique du Sud mais c’est finalement en Nouvelle Zélande qu’ils se sont installés, dans la très réputée région de Malborough. »
Aurélien poursuit : « Il y a deux terroirs très intéressants sur lesquels sont plantées nos vignes en Nouvelle Zélande : Broad Bridge et Greywacke. » Le terroir de Broad Bridge, ce sont des argiles gris-brun tachetées d’ocre qui indiquent une teneur importante en fer. Les vins provenant de ces sols ont du corps, des arômes marqués et une belle longueur en bouche. Quant au terroir de Greywacke, ce sont des sols graveleux provenant de l’ancienne rivière Wairau qui peuvent descendre à 1,50 mètres de profondeur, obligeant la vigne à lutter pour sa survie, offrant ainsi des fruits de meilleure qualité.
Lorsque je l’interroge sur la vinification, Aurélien m’explique qu’ils ne cherchent pas à obtenir des profils standardisés propres aux vins de ce pays : « Nous essayons d’apporter un savoir-faire français. Par exemple, nous pratiquons des fermentations plus basses que ce qui se fait généralement là-bas. Cela fait moins ressortir le côté variétal du Sauvignon. Nos vins sont plus discrets au nez, mois exubérants, mais en bouche il y a plus de matière. » Autre différence de taille avec les vignerons locaux : ils n’irriguent pas, considérant que les vins n’en n’ont pas besoin. « Nous cherchons à faire des vins de belles factures, pas de la quantité bon marché. C’est pourquoi nous avons une densité de pieds plus importantes, 6 000 pieds hectares pour le domaine contre 2 000 pieds en moyenne en Nouvelle Zélande. » (Plus de pieds de vignes par hectare signifie moins de raisins mais des raisins plus concentrés).
Un French touch qui permet de produire des vins séduisants, gourmands mais racés. Cocorico !
Dernier domaine intégré à la sélection de Vins d’Avenir, j’ai eu un véritable coup de cœur pour le parti pris singulier de ce vigneron qui a choisi, à rebours des vins de plaisirs qui inondent le marché actuellement, d’élaborer des vins taillés pour la garde. Si vous lisez régulièrement cette newsletter, vous savez que je suis moi aussi très sensible aux vins de garde ou « de mémoire » comme dirait Christian Chabirand et qui sont trop peu présents sur le marché.
Le domaine est situé aux portes d’Orange. Il compte quatre appellations dont trois crus de la Vallée du Rhône méridionale réparties en deux hectares et demi de Châteauneuf-du-Pape, cinq de Gigondas, neuf de Vacqueyras et le reste en Côtes du Rhône, soit un total de 25 hectares. Domaine familiale depuis cinq générations, historiquement implanté à Gigondas, ce sont les grands-parents de Fréderic Chastan, l’actuel propriétaire du domaine, qui s’implantent à Orange et permettent à l’exploitation d’inclure Côtes du Rhône et Châteauneuf à leur répertoire.
Frédéric et sa femme Caroline travaillent ensemble. Ces gens discrets mais déterminés insufflent une vision forte aux styles des vins. Lorsque la dégustation commence, je parcours la liste des vins et je m’exclame : « chouette, vous avez des vins vieux ! ». Réponse de l’intéressé : « Ce ne sont pas des vieux vins, ce sont des vins à boire ! » En effet, Frédéric a la conviction que les vins de la Vallée du Rhône sont bus trop jeunes. Ses rouges à lui passent minimum cinq ans en cave avant d’être mis en vente. Le résultat est bluffant car ils ne paraissent pas fatigués, bien au contraire ! Preuve qu’il est possible d’avoir de la bouteille… sans prendre une ride. Cerise sur le gâteau, leurs prix restent très accessibles : environ 32€ TTC pour le Châteauneuf-du-Pape et autour de 12€ pour le Côtes du Rhône.
La dégustation
Le Côtes du Rhône 2015 offre un premier nez un peu crayeux, de pivoine, et aux notes de réglisse. En bouche, le vin est structuré avec une belle allonge. Les vins ne sont pas éraflés comme c’est le cas de l’immense majorité d’entre eux.
Le Gigondas 2012 est encore superbement vibrant. Le nez, puissant, embaume les notes de mures et de groseille. Les tannins, bien qu’assouplis, sont encore présents et laissent à penser que le vin en a encore « sous la pédale ».
Le Châteauneuf-du-Pape 2011 est une très belle démonstration de ce que produit un Grenache — il représente 90 % de l’encépagement — à qui on a laissé un peu de temps. C’est un vin avec une belle patine, aux notes de cannelles et d’épices douce. Les tanins sont soyeux, le grain est fin et la sensation en bouche est extrêmement agréable.
J’aimerais également vous dire un mot sur les deux vins blancs produits par le domaine. Un Côtes du Rhône 2019baptisé « Blanc à la Cale » d’après l’expression provençale qui signifie « à l’abri du vent » car la parcelle à l’origine vin est protégée du Mistral, entre des haies de cyprès et d’oliviers. Cet assemblage de Clairette et de Grenache blanc est puissant avec des parfums de fruits jaunes, pêche, ananas, et un bel équilibre entre gras, amertume et acidité. Mais c’est surtout le Vacqueyras blanc 2015 — une rareté puisque les blancs ne représentent que 5 % de l’appellation — qui a retenu toute mon attention. Le jus est gracieux, délié en bouche, avec des notes de miel et de pain au lait soutenues par une belle minéralité.
Les vins du domaine de la Jaufrette prouvent qu’il est possible de produire encore de beaux vins de garde. Mais il n’y a pas de secret : façonner des vins de cette trempe exige un travail précis dans les vignes, une vendange manuelle, des macérations longues et de la patience.
Originaire d’Aveyron, il est plus que temps que je vous parle des vins du Sud-Ouest. Et pour cela, j’ai interrogé Laurent Alvarez, le directeur commercial de la Java du Sud Ouest, une association de sept familles vigneronnes installées dans les plus belles appellations de la région : la famille Ribes au Domaine le Roc en Fronton, la famille de Conti au Château Tour des Gendres en Bergerac, la famille Riouspeyrous au Domaine Arretxea en Irouléguy, la famille Verhaegue au Château du Cèdre en Cahors, la famille Laplace au Château Aydie en Madiran, la famille Teulier au Domaine du Cros en Marcillac et Charles Hours au Clos Uroulat en Jurançon.
Laurent, engagé corps et âme (et palais) pour ce projet depuis ses origines en 2008, nous en dit plus sur les vins, la philosophie et le fonctionnement de la plate-forme. Entrez dans la danse !
Les sept appellations. @ La Java du Sud Ouest
Coincés entre le piémont pyrénéen et le massif central, les vins du Sud-Ouest n’ont a priori pas grand-chose en commun : microclimats, cépages originaux ou encore sols divers produisent des vins aux styles très variés. Qu’est-ce qui finalement réuni les vins du Sud-Ouest ?
Effectivement, il existe de grosses différences de topographie et de cépages, qui sont tous autochtones : le Mansois à Marcillac, le Malbec à Cahors, la Négrette à Fronton, le Tannat à Madiran, le petit et gros Manseng en Jurançon ou encore la Muscadelle à Bergerac. Culturellement, il y a un semblant d’unité, un art de vivre commun, mais un Aveyronnais reste bien différent d’un Béarnais ou d’un Gascon. Finalement, ce qui nous unit, ce sont nos différences. Nous devons porter haut et fort nos spécificités. Les vins du Sud-Ouest ont tous des identités fortes, à rebours de ce qui se pratique aujourd’hui avec les vins de cépages standardisés.
Il est intéressant de noter qu’on ne parle pas de vins du Sud Est ou de vin de l’Est. Historiquement, les vins du Sud-Ouest ont été définis par opposition à ceux de Bordeaux. Depuis le rattachement de la ville à l’Angleterre en 1154, les vins trouvent outre-Manche un formidable débouché. Mieux (ou pire pour leurs voisins), en 1241, Henri III Plantagenet leur accorde le privilège de la vente en primeur. Les vins situés en amont du diocèse de Bordeaux sont bloqués jusqu’à Noël, date à laquelle les marchands d’Europe du Nord sont déjà repartis. Les vins du Haut-Pays aquitain ne peuvent ainsi être embarquées qu’au printemps, une fois les tempêtes hivernales du golfe de Gascogne et de la Manche calmées, au risque de se gâter avant leur exportation tardive. Ils sont de plus lourdement taxés. Les vignobles périphériques ont ainsi été étouffés par cet avantage qui va durer cinq siècles !
Est-ce que tu considères qu’aujourd’hui encore les vins du Sud-Ouest souffrent d’un déficit de notoriété ?
Aujourd’hui le vin s’est démocratisé et il y a de la place pour tout le monde, donc aussi pour les vins du Sud-Ouest. Mais, soyons honnête, ce ne sont pas des vins que l’on achète, ce sont des vins qu’on vend. Ils peuvent apparaître rustiques, avec des tannins amers. Cependant, aujourd’hui, sommeliers et cavistes sont très curieux et à l’écoute de ce qui se fait dans la région.
La Java du Sud Ouest est l’un des plus anciens groupements de vigneron. Qu’est-ce qui fait que cela fonctionne pour vous ?
Tout d’abord, la structure juridique. La Java, c’est un Groupement d’Intérêt Économique (GIE) et non une société commerciale. Elle n’a donc pas vocation à réaliser des bénéfices « pour elle-même », un peu comme une association. C’est donc l’intérêt commun qui prime sur l’intérêt individuel. On recherche de l’équité. Cela nécessite une certaine tournure d’esprit de nos vignerons qui sont avant tout des amis qui partagent les mêmes valeurs. La Java, c’est un kolkhoze communiste capitaliste. Tout le monde ne peut pas y entrer. Nous avons régulièrement des demandes mais peu aboutissent.
Je veux faire découvrir les vins du Sud-Ouest lors d’un repas. Que sers tu et avec quoi ?
Pour l’apéritif, je sers la cuvée Marie du Clos Uroulat, carafée un quart d’heure, avec une chiffonnade de jambon Noir de Bigorre par exemple. En entrée, avec un tartare de thon snacké, je débouche La conti-ne Périgourdine du Château Tour des Gendres (AOP Bergerac). Issu d’une vieille parcelle de Muscadelle, c’est un vin ample et aérien, de la dentelle…
En plat principal, avec une belle viande rouge, j’ouvre le Cèdre à Cahors. C’est un vin précis, équilibré et aux tannins soyeux. Avec un fromage à pâte persillée, on peut s’amuser avec un Jurançon doux, pour faire un accord d’opposition. Enfin, en dessert, j’accompagne une salade de fruits de bulles légères et gourmandes comme celles de Roc’ambulle du domaine Le Roc (Fronton).
Quelles sont les actualités de la Java ?
En 2020 est née une cuvée un peu particulière. Appelée Cros’Roc, elle est le fruit de l’amitié de Frédéric Ribes du Roc (à Fronton) et de Philippe Teulier du Cros (à Marcillac). Cela faisait un moment qu’ils avaient envie d’assembler du Fer Servadou et de la Négrette. Nous avions déjà réalisé plusieurs tests et ils se sont lancés. Cette cuvée représente pour moi l’illustration même des principes fondamentaux de la Java. Ces deux amis n’avaient plus rien à prouver mais juste l’envie de se faire plaisir. Il en résulte un assemblage 60 % Négrette et 40 % Fer Servadou joliment épicé, nerveux, droit, avec des notes de poivre et du croquant.
Raisins mais aussi abricots, olives ou encore miel, plusieurs vigneron.ne.s Vins d’Avenir pratiquent la polyculture. Ils nous expliquent les avantages agronomiques et économiques de leur choix.
Exemple d’agroforesterie. @ IFV.
La spécialisation des exploitations agricoles débute au milieu du XIXe siècle. D’une polyculture vivrière elles passent à une monoculture souvent intensive et soumise à des impératifs courtermistes de rentabilité. La viticulture ne fait pas exception. Le modèle des vignes arborées, diffusé en Gaule par les Romains, s’efface lui aussi avec la mécanisation, la spécialisation et les exigences de productivité, la doxa agronomique considérant alors que la vigne ne doit souffrir d’aucune concurrence sous peine de voir ses rendements baisser. Avec l’apparition des engrais de synthèse après la Seconde guerre mondiale disparaît l’intérêt d’élever des bêtes pour le fumier qui fertilisait les plants.
Depuis quelques années, les initiatives pour faire cohabiter la vigne avec d’autres cultures se multiplient, même s’il reste difficile de quantifier le phénomène.
Lorsque Thibault Kerhoas reprend le domaine Delacroix Kerhoas (Gard), il décide de créer un verger multi fruits bio. Et ce pour plusieurs raisons : « D’abord par goût personnel : j’aime les fruits et je rêve d’une agriculture qui soit aussi vivrière pour ma famille. J’aimerais d’ailleurs aller plus loin et développer dans un futur proche un petit élevage en plein champ de volaille ou de cochons. Ensuite parce que c’est un avantage économique d’avoir deux cultures, notamment en cas de gel ou de maladies. Cela permet d’avoir une deuxième source de revenus. »
Au Mas Baudin (Gard), les parents d’Amélie et Vincent Bonnard ont diversifié dès le début leur exploitation. « Mes parents avaient planté en autofinancement des tomates, des pommes de terre, des pêches et des abricots mais c’était économiquement très difficile les années avec du gel. Mon père a eu envie de planter de la vigne et d’amener les raisins à la cave coopérative pour varier les revenus. Il souhaitait aussi nous transmettre un patrimoine mieux valorisé puisque la vigne a plus de valeur foncière. Puis, dans les années 2000, nous avons décidé de planter des oliviers, tout simplement car nous en avions marre de consommer de mauvaises huiles. »
Autre atout de la polyculture : les périodes d’activité se complètent. À la vendange des raisins succède par exemple la récolte des olives. Cela permet d’avoir recours à du personnel qualifié et formé pour les deux cultures et moins à des saisonniers. Mais c’est aussi du travail supplémentaire, comme le souligne Jérôme Busato du Château Cohola (Vaucluse) où se côtoient des vignes, des oliviers mais aussi des abeilles. « On a décidé de produire du miel car on a eu envie de toucher à l’élevage. On pourrait parler de troupeau d’abeilles. Et l’élevage c’est une autre forme de pensée que le végétal. Les problématiques sont différentes. »
La polyculture compte aussi parmi les principes de l’agroécologie. Elle crée un cercle vertueux, plus respectueux de l’environnement. Au Mas Baudin, les résidus de pressurage des olives ainsi que l’eau issue du pressurage sont utilisés comme un amendement très riche pour les vignes.
La diversité des cultures diminue la susceptibilité à la maladie, l’un des problèmes majeurs liés à la monoculture. Thibault Kerohas confirme : « Les arbres constituent une barrière de protection naturelle face aux nuisibles. Un hectare d’abricotiers au milieu des vignes limite les ravageurs. En outre, ils abritent des chauves-souris et des oiseaux qui participent à la biodiversité et protègent indirectement la vigne. Les chauve-souris par exemple se nourrissent des papillons responsables du ver de la grappe. » Et une biodiversité bien installée permet de réduire drastiquement l’utilisation de béquilles chimiques. Naturellement, pour que des animaux s’installent dans les cultures, il faut a minima être en agriculture biologique et bannir les produits tueurs en « -icides » (pesticides, insecticides et autres fongicides).
Ajoutons que la vitiforesterie nourrit les sols en apportant de la matière organique et qu’elle protège la vigne du gel et de la canicule.
Les avantages de la polyculture sont nombreux et ils s’inscrivent dans une volonté forte de la part du vigneron ou de la vigneronne de développer une agriculture durable. Des pratiques que nous suivons de près à Vins d’Avenir…
Cet été, j’ai eu la chance de m’arrêter au Clos Roussely, en plein cœur du village d’Angé, en Touraine.
L’histoire de Vincent Roussely est pour le moins singulière. S’il représente la quatrième génération d’une famille de vignerons, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’a pas « hérité » du domaine. Son arrière-grand-père Anatole achète le Clos en 1917 et s’installe comme distillateur et vigneron. Son grand-père Marcel développe le vignoble et crée une activité de négoce en parallèle. Le père de Vincent, Jean Claude Roussely, ne garde finalement que l’activité de négociant et vend ses vignes.
Pendant ce temps, Vincent étudie et se forme. Il passe un diplôme d’œnologue et travaille à l’étranger dans différents domaines. C’est en 2001 qu’il saisit l’opportunité de s’installer et qu’il rachète alors les bâtiments du Clos Roussely ainsi qu’une partie des vignes. Il réalise son « rêve de gosse » et recrée le domaine familial. Petit à petit, parcelle après parcelle.
Aujourd’hui le Clos Roussely s’étend sur huit hectares. Les vignes sont situées au-dessus du chai en pierre de tuffeau (une pierre calcaire caractéristique de la région) et forment une toiture végétale. L’encépagement est composé à 80 % de Sauvignon, complété par du Côt (le nom régional du Malbec), du Pineau d’Aunis, du Cabernet franc et du Gamay.
En 2007 le domaine est converti à l’agriculture biologique et 2021 marquera la première vendange certifiée en biodynamie. Cette démarche s’inscrit profondément dans la philosophie de Vincent Roussely. L’exploitation est cultivée sans herbicide, sans pesticide et vendangée à la main. Mais ce n’est pas tout : le travail du sol dans les plus vieilles vignes est réalisé grâce à la traction d’un magnifique cheval de trait et des ânes et des moutons se promènent dans les vignes. Lors de notre conversation, Vincent m’a confié : « c’est un métier solitaire, vigneron. Lorsque tu es dans la vigne entouré d’animaux, l’atmosphère est toute autre. Pour moi la nature est un écosystème qui inclus faune et flore ». J’ai aimé cette remarque pleine de sensibilité.
Vincent a la chance d’être épaulé de Jonathan Canard, responsable commercial enthousiaste, passionné et fidèle qui officie depuis dix ans au domaine (c’est suffisamment rare pour être souligné). C’est avec Jonathan et Jean Claude Roussely que j’ai eu le plaisir de déguster les bouteilles du Clos. La gamme, belle et bien construite, permet de découvrir toutes les facettes du Sauvignon. Il est tour à tour séducteur, exubérant et salivant dans la cuvée L’Escale, plus fin dans Le Clos, gastronomique avec de l’amplitude et de belles acidités dans le Touraine-Chenonceaux blanc puis complètement atypique et déroutant dans la cuvée Irréductible vinifiée en amphore et sans soufre. Les vins rouges n’ont rien à envier aux blancs. La cuvée Canaille en 100 % Gamay est un exceptionnel rapport qualité prix. L’Irréductible rouge, à base de vieilles vignes de pineau d’Aunis et vinifié sans soufre, est bien trop souvent en rupture à mon goût. Le domaine démontre également sa capacité à produire des vins de garde avec les cuvées Rêve de Gosse et Touraine-Chenonceaux rouge, des vins plein de chair, avec une matière intense et une complexité aromatique plus grande. Pour le second, 80% de Côt et 20% de Cabernet franc produisent un vin qui embaume les fruits rouges écrasés. La bouche propose quelque chose de plus animal, auquel se mêle des notes de réglisse et de poivre, et offre une très belle longueur. J’ai eu un coup de cœur pour la très jolie bulle du domaine, La Favorite, un Chardonnay non dosé produit en méthode traditionnelle. Et je ne vous ai pas parlé de leur délicieux jus de raisin ! Vous l’aurez compris, je ne peux que vous recommander de faire un saut au domaine. Sinon, vous savez où trouver les vins !
L’assemblage est un moment fort dans le calendrier du vigneron. Après les vendanges, les raisins sont pressés et la fermentation se déroule le plus souvent en cuve. C’est ensuite — parfois plusieurs mois après — qu’interviennent les assemblages. Généralement ils ont lieu au printemps, une fois que les jus se sont stabilisés. Concrètement, il s’agit de mélanger différentes cuves en vue de la mise en bouteille de la gamme. Lors de l’assemblage, chaque cuve est échantillonnée puis dégustée, les jus sont classés par volume et qualité et c’est ainsi que l’on va travailler la gamme en partant du haut de la pyramide : d’abord les cuvées les plus prestigieuses puis les vins « entrée de gamme ». Ce sont plusieurs heures de dégustation intense qui nécessitent beaucoup de concentration.
C’est un moment crucial dans la vie du vigneron qui lui permet de se faire une idée précise du style du millésime de l’année et de tenter de l’exprimer à travers les cuvées. C’est également un moment commercial fort puisque c’est lors des assemblages que les viticulteurs décident combien de bouteilles il faut produire pour chaque cuvée. Beaucoup de vignerons de la sélection Vins d’Avenir sont de « jeunes » vignerons dans la mesure où ils ont hérité/acheté un domaine en pleine croissance. Prévoir les ventes à l’avance n’est donc pas chose aisée. Être trop ambitieux peut coûter très cher au vigneron (coût des matières premières, du stockage des bouteilles et de l’immobilisation du stock) et, à l’inverse, ne pas en prévoir suffisamment peut être dramatique commercialement. Faute de vin, les clients peuvent être tentés de se tourner vers d’autres produits. Au Château Juvenal, c’est la qualité des jus qui va déterminer le nombre de bouteilles à réaliser pour les belles cuvées. « Pour notre cuvée Perséide ou La Terre du Petit homme on vise l’excellence. Si, lors du millésime en cours, à cause des aléas climatiques, nous avons moins de jus très qualitatifs, alors nous ferons moins de bouteilles cette année là. Pas question de compléter avec des vins de moindre qualité » m’explique Mathieu Rabin. La plupart des domaines ont donc beaucoup plus de cuves que de cuvées. C’est le cas au Mas Baudin à Montfrin où Amélie Bonnard détaille : « nous avons quinze cuves qui nous permettent de réaliser cinq cuvées différentes ».
Lors des assemblages, le vigneron n’est pas seul. En famille ou en équipe, il est important de confronter les points de vue. Dans la plupart des régions de France, l’œnologue conseil du domaine est toujours présent. C’est un prestataire extérieur qui accompagne le domaine, dans ses choix en terme de viticulture, de vinification mais également parfois dans la construction de la gamme. La place accordée à l’œnologue dépend de la stratégie du vigneron. Pour Amélie au Mas Baudin : « c’est un arbitre entre nous, il apporte un regard extérieur salvateur. Ce n’est pas lui qui nous dit quoi faire mais il nous permet de prendre du recul ». Au Château Juvenal, c’est Philippe Cambie, œnologue star de la vallée du Rhône, qui participe avec Mathieu et Sébastien aux assemblages. Son nom est mentionné sur les bouteilles, sa participation revendiquée par l’équipe. Sébastien avait des vignes en cave coopérative avant de créer Château Juvenal. Il voulait avoir un œil extérieur qui puisse l’épauler pour monter en gamme. Pour Mathieu Rabin : « Philippe Cambie est un œnologue extraordinaire. J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi pointu en dégustation. Il se souvient de cuves dégustées il y a des semaines alors qu’il suit une soixantaine de domaines. Chez nous les assemblages sont assez rapides car, entre la vendange et les assemblages, nous dégustons très régulièrement les vins et, le jour J, nous avons déjà une idée assez précise de ce que nous allons faire ».
Pourtant cette méthodologie n’est pas partagée par tous. Lorsque j’interroge Paul Rieflé, je suis surprise d’apprendre qu’au domaine Rieflé en Alsace pas d’œnologue conseil et des assemblages bien différents. L’Alsace a hérité d’une tradition germanique de vins de cépage. Les appellations génériques correspondent aux cépages Riesling, Gewürztraminer, etc. La famille Rieflé, pourtant, produit des vins d’assemblages. « Nous avons six cépages blancs en Alsace : Riesling, Sylvaner, Pinot gris, Pinot blanc, Muscat et Gewürztraminer. Il nous a semblé facile et intéressant commercialement de les regrouper en trois cuvées différentes. C’est la gamme Ad Quadratum. Le Riesling et le Sylvaner sont des cépages qui vont produire des vins vifs et secs. Ils se recoupent également en terme de circonstances de consommation autour des fruits de mer par exemple ou à l’apéritif. C’est pourquoi nous les avons réunis dans la cuvée Éclat. Les raisins sont vendangés ensemble, parfois pressés ensemble mais dans tous les cas assemblés avant fermentation. Pour le reste de la gamme, ce sont des lieux-dits et des crus où le cahier des charges ne revendique que des mono-cépages donc pas d’assemblage non plus.
Il est vrai que par souci de pédagogie et dans le but d’adopter une lisibilité plus grande, de nombreux vignerons développent des cuvées en mono-cépages et nombre d’entre elles sont excellentes. Pourtant les vins assemblés ne sont pas seulement les jus de raisins récoltés sur une parcelle mais bien le fruit d’un choix humain et c’est toute la magie du vin.
Vous en avez sans doute entendu parler : l’agriculture française a subi de terribles épisodes de gel tout au long de ce mois d’avril. Terribles par leurs effets — des mois de travail anéantis parfois en une seule nuit —, leurs conséquences économiques et psychologiques pour les producteurs, et par leur ampleur. Ces gelées 2021 ont en effet touché l’ensemble du territoire français. Aucune région viticole n’a été épargnée. En Champagne, on estime les pertes liées au gel entre 25 à 30 %. 80% des vignes du Bordelais sont concernées, totalement ou partiellement. Toute la Bourgogne a été frappée, de Chablis jusqu’au Mâconnais. En vallée du Rhône et en Provence, le bilan varierait de 30 à 60 % de pertes de récolte. Certaines appellations du Languedoc ont été décimées …
… mais pas surprenant
La cause est bien identifiée, elle porte un nom qui vous est malheureusement familier : le réchauffement climatique. Car c’est en réalité la chaleur de la fin mars qui a été précurseur du désastre agricole comme l’explique Serge Zaka, docteur en agro-météorologie : « la douceur exceptionnelle a permis aux végétaux d’exploser : les bourgeons ont éclos, les feuilles et les fleurs se sont retrouvées à l’air libre. Le froid d’avril est moins exceptionnel, une trentaine de records négatifs ont été battus, mais il a trouvé des bourgeons éclos. Or, dans le bourgeon, la plante résiste à -20°C quant à l’air libre, c’est -1°C. »
Les problèmes liés au climat ont été récurrents ces derniers années — on pense notamment à la terrible sécheresse qui s’est abattue sur le sud de la France en 2019 — et ils s’inscrivent dans la durée. « Avant, les dégâts liés au gel arrivaient tous les cinq ou six ans. Depuis 2010, c’est presque tous les ans. Et non, ce n’est pas une décennie noire, pas un épisode : c’est le climat du futur. Cela ne va pas se passer tous les ans, mais ça va devenir fréquent, à peu près jusqu’en 2050. Après cela, il va faire de plus en plus doux, les gelées vont devenir de plus en plus rares et les dégâts régresser. Il y aura d’autres problèmes liés à la canicule et à la sécheresse, mais c’est un autre sujet. » alerte Zaka.
Pas d’étonnement non plus du côté des zones touchées, bien connues des viticulteurs. Comme le rappelle Christian Chabirand du Prieuré la Chaume, lui plutôt épargné : « en réalité nous savons quelles sont les zones gélives, elles sont cartographiées. Grosso modo pas de surprise : ce sont bien elles qui ont gelé cette année. » Et ces secteurs se trouvent souvent en plaine. En vallée du Rhône, région soumise à de très nombreux microclimats, les fonds de vallons subissent des gelées beaucoup plus fortes. Thibault Kerhoas du domaine Delacroix Kerhoas dans le Gard en a fait la triste expérience pour les derniers millésimes : sur les quatre dernières années, ses vignes en plaine, notamment de Sauvignon, ont gelé trois fois.
Mais il est aussi arrivé que des parcelles bien exposées, donc plus avancées, aient subi davantage de dommages. En Bourgogne par exemple, les masses d’air polaires des nuits du 5/6 et du 6/7 avril ont plutôt atteint les climats bénéficiant de belles expositions en coteaux. Notez qu’il peut exister des différences de températures majeures au sein d’une même parcelle … Qui a dit que vigneron était un métier facile ?
De nombreux outils ont été déployés par les domaines et les maisons pour sauver ce qui pouvait l’être. Le Fief Noir en Anjou, durement touché, a utilisé sur trois hectares environ des bougies qui dégagent de la chaleur au sol, au niveau des pieds de vigne. Il en faut donc beaucoup, avec une efficacité limitée dès qu’un peu de vent se lève. Le co-propriétaire Alexis Soulas admet qu’elles ne peuvent pas représenter une solution pérenne : « très chères (environ 3000€/hectare), hyper polluantes, elles restent allumées seulement douze heures donc il faut calculer le moment le plus opportun pour les allumer. » L’œnologue-vigneron a également utilisé un voile, une sorte de couverture posée sur les vignes pour les réchauffer. Cette solution a très bien marché : « la parcelle que nous avons protégée avec a été intégralement épargnée. Mais c’est très compliqué à déployer, cela demande de mobiliser sept à huit personnes. »
D’autres techniques antigel ont été employées : chaufferettes au fuel, câbles chauffants, brûlage de paille ou encore aspersion d’eau dont les gouttelettes forment une coque de glace qui protège le bourgeon mais dont il faut disposer en quantité suffisante pour tenir jusqu’à la remontée des températures au-dessus de 3 °C (sinon c’est l’effet inverse qui se produit !). Certains ont investi dans des tours éoliennes (30 000 et 40 000 euros pour environ 5,5 hectares protégés) ou des hélicoptères pour brasser l’air, plus chaud en altitude, et le plaquer au sol pour le réchauffer.
Toutes ces moyens de lutte limitent les dégâts mais ne les empêchent pas. Elles sont particulièrement coûteuses en main-d’œuvre, en ressource et en installation de matériel. Elles sont accessibles surtout aux plus grands producteurs mais pas aux petits qui n’ont pas les moyens d’investir. Et, double peine, ces derniers ne sont souvent pas assurés. « À une époque les vignerons ont été aidés pour s’assurer. Les assureurs en ont profité pour rehausser leurs tarifs et c’est pourquoi aujourd’hui peu de vignerons s’assurent » se souvient Christian Chabirand. S’assurer est un pari que Thibault Kerhoas craint de ne pas gagner : « il y a fort à parier qu’une fois que j’aurai souscrit une assurance, cette année-là, il ne gèlera pas ! ». Sans compter que les assureurs seraient aujourd’hui réticents à signer des contrats avec des domaines viticoles selon Alexis Soulas.
Un procédé qui n’entraîne pas de surcoût consiste à changer ses habitudes en matière de taille. Tailler tard permet de retarder le débourrement (la sortie des bourgeons). C’est la bonne résolution prise au Mas Baudin qui a décidé de tailler les zones gélives en dernier dès l’an prochain.
La vigne résiste
Les agriculteurs subissent les aléas climatiques mais la nature déploie encore de petits miracles. Ainsi, la vigne — contrairement aux arbres fruitiers —, développe des bourgeons supplémentaires quand les premiers ont été détruits par la gelée ou une autre cause. Raison pour laquelle il est encore trop tôt pour estimer précisément les quantités qui vont manquer dans les cuves. Ces repoussent varient selon les cépages. Le Chardonnay fait par exemple très peu de bourgeons secondaires, contrairement au Grenache, au Merlot ou au Cinsault.
À l’Homme de changer ses modes de vie et de production pour mettre fin au désordre climatique. En attendant, soyons solidaires avec nos vignerons et avec nos agriculteurs, il en va de notre survie alimentaire.
Sources
Les témoignages des vignerons de la sélection Vins d’Avenir ont été recueillis par Réjane.