D’un vin chaleureux, velouté, on dit qu’il est amoureux ou, chez les Bourguignons, qu’il « a de l’amour ». La formule est ancienne : les poètes du XVe siècle comme François Villon célébraient déjà le vin amoureux. L’amour de l’amateur était attribué au précieux nectar lui-même. Simple lot de consolation quand on connaît l’incompatibilité, lorsqu’elles sont pratiquées avec excès, des choses du verre et de la chair, « deux occupations qui s’entr’empêchent en leur vigueur » d’après Montaigne ? Plus récemment, Bernard Pivot conseillait de « boire peu de vin avant l’amour, mais du bon, du très bon ; honorer Bacchus avec modération ; puis, après, honorer Vénus jusqu’à plus soif… »
Si l’expression est quelque peu désuète, nombreux sont les mots de la dégustation qui empruntent aujourd’hui encore au registre de la sensualité. Car cette activité non seulement mobilise tous nos sens mais nous en retirons un plaisir quasi charnel. Et ces termes font référence à l’un d’entre eux en particulier : le toucher. Un vin voluptueux caresse le palais. Un vin enveloppant tapisse la bouche. Un vin moelleux n’est pas nécessairement sucré : un jus sec peut être rond et onctueux.
Le sens du toucher est souvent négligé en dégustation alors que nous goûtons avec un instrument d’une grande précision : notre bouche. En effet, si l’on observe notre cerveau en coupe (au niveau du cortex somesthésique), on peut y lire une carte topographique des différentes parties du corps. Chaque fois que notre index touche quelque chose, la zone correspondant à l’index dans le cerveau s’allume. Et la surface de représentation au niveau du cortex est proportionnelle à la sensibilité de la zone concernée : plus la seconde est fine et importante, plus la première est étendue. Or la surface de projection des lèvres, de la bouche, de la langue et du pharynx est très grande, représentant presque un quart de la surface de projection du corps. Autrement dit, l’appareil buccal concentre environ 25% de l’ensemble de nos récepteurs du toucher. La bouche, meilleure amie de Vénus et de Bacchus… Les anglophones l’ont bien compris : là où Molière goûte ou déguste du vin, Shakespeare tastes (mot dérivé du latin taxo, « toûcher », qui a notamment donné en français tâter). Moins souvent décrites que les arômes et les saveurs, les sensations tactiles apportent pourtant de nombreuses informations concernant le sol sur lequel la vigne a poussé ou les méthodes de vinification.
Pour apprécier la texture d’un grain de peau, cette dernière doit être caressée : immobile, la main ne sent rien ; elle doit se déplacer pour percevoir la finesse ou la rugosité. Le mouvement des doigts crée une vibration qui varie avec la granulométrie de la matière. Il en va de même en bouche : pour saisir les changements de pression et de vibration, il faut bouger, déplacer le vin. La prochaine fois que vous dégusterez, je vous invite donc à le mâcher dix bonnes secondes. Ce vin vous évoque-t-il la suavité d’un baiser ou la fermeté d’une claque ? Vous avez la réponse sur le bout de votre langue…