La crise sanitaire a bouleversé les pratiques professionnelles dans le milieu du vin. Pour beaucoup d’entre nous — agents commerciaux, négociants, grossistes, vignerons … — la fermeture des restaurants nous a contraints à rechercher d’autres débouchés commerciaux. Résultat : nous sommes nombreux à nous être tournés vers les cavistes qui sont restés ouverts pendant la crise. Face à ces sur-sollicitations, les cavistes ont dû mettre en place un système de sélection encore plus drastique. Certains pratiquent des dégustations à l’aveugle sur dépôt d’échantillons.
Les dégustations à l’aveugle permettent de juger uniquement de la qualité du vin et, dans certains contextes, l’exercice se révèle très intéressant. Je me rappelle d’une dégustation au Château de Montfrin où les professionnels autour de la table avaient tous très mal noté une star du Languedoc dont je tairai le nom. Cet exemple montre à quel point la notoriété d’un domaine tient autant à la personnalité du vigneron, sa communication, que la qualité de son vin.
En outre, l’effet millésime peut être très important. Un producteur peut être talentueux et subir des aléas climatiques qui altèreront la qualité du vin ou simplement le style pendant une année.
Les dégustations à l’aveugle sont également pratiquées lors des concours. J’ai à plusieurs reprises eu l’occasion d’être jury dans des évènements de ce genre. Même si l’exercice est intéressant, notamment pour progresser dans la dégustation, je le trouve drôlement triste comparé au plaisir que je prends à découvrir un vigneron, sa philosophie, son univers, son chai. Bref, qui il est. Je ne vends pas seulement du vin mais le travail d’un homme, d’une femme, une histoire humaine, parfois celle de plusieurs générations, un terroir, une méthode aussi. Alors quand je dois déposer des échantillons, je n’ai vraiment pas le sentiment de faire mon travail. De bons vins, il y en a partout. C’est une affaire de goût et de qualité-prix. En revanche, des gens qui vous touchent et dont vous avez envie d’être le porte-parole auprès d’une filière, il y en a beaucoup moins.
Tant pis ou plutôt tant mieux si, lors d’une dégustation, l’histoire du vigneron, le choix de l’étiquette ou encore le positionnement qu’il a pris altèrent notre jugement. Quand nous en viendrons à juger seulement le goût, nous serons devenus des robots.