Dernier domaine intégré à la sélection de Vins d’Avenir, j’ai eu un véritable coup de cœur pour le parti pris singulier de ce vigneron qui a choisi, à rebours des vins de plaisirs qui inondent le marché actuellement, d’élaborer des vins taillés pour la garde. Si vous lisez régulièrement cette newsletter, vous savez que je suis moi aussi très sensible aux vins de garde ou « de mémoire » comme dirait Christian Chabirand et qui sont trop peu présents sur le marché.
Le domaine est situé aux portes d’Orange. Il compte quatre appellations dont trois crus de la Vallée du Rhône méridionale réparties en deux hectares et demi de Châteauneuf-du-Pape, cinq de Gigondas, neuf de Vacqueyras et le reste en Côtes du Rhône, soit un total de 25 hectares. Domaine familiale depuis cinq générations, historiquement implanté à Gigondas, ce sont les grands-parents de Fréderic Chastan, l’actuel propriétaire du domaine, qui s’implantent à Orange et permettent à l’exploitation d’inclure Côtes du Rhône et Châteauneuf à leur répertoire.
Frédéric et sa femme Caroline travaillent ensemble. Ces gens discrets mais déterminés insufflent une vision forte aux styles des vins. Lorsque la dégustation commence, je parcours la liste des vins et je m’exclame : « chouette, vous avez des vins vieux ! ». Réponse de l’intéressé : « Ce ne sont pas des vieux vins, ce sont des vins à boire ! » En effet, Frédéric a la conviction que les vins de la Vallée du Rhône sont bus trop jeunes. Ses rouges à lui passent minimum cinq ans en cave avant d’être mis en vente. Le résultat est bluffant car ils ne paraissent pas fatigués, bien au contraire ! Preuve qu’il est possible d’avoir de la bouteille… sans prendre une ride. Cerise sur le gâteau, leurs prix restent très accessibles : environ 32€ TTC pour le Châteauneuf-du-Pape et autour de 12€ pour le Côtes du Rhône.
La dégustation
Le Côtes du Rhône 2015 offre un premier nez un peu crayeux, de pivoine, et aux notes de réglisse. En bouche, le vin est structuré avec une belle allonge. Les vins ne sont pas éraflés comme c’est le cas de l’immense majorité d’entre eux.
Le Gigondas 2012 est encore superbement vibrant. Le nez, puissant, embaume les notes de mures et de groseille. Les tannins, bien qu’assouplis, sont encore présents et laissent à penser que le vin en a encore « sous la pédale ».
Le Châteauneuf-du-Pape 2011 est une très belle démonstration de ce que produit un Grenache — il représente 90 % de l’encépagement — à qui on a laissé un peu de temps. C’est un vin avec une belle patine, aux notes de cannelles et d’épices douce. Les tanins sont soyeux, le grain est fin et la sensation en bouche est extrêmement agréable.
J’aimerais également vous dire un mot sur les deux vins blancs produits par le domaine. Un Côtes du Rhône 2019 baptisé « Blanc à la Cale » d’après l’expression provençale qui signifie « à l’abri du vent » car la parcelle à l’origine vin est protégée du Mistral, entre des haies de cyprès et d’oliviers. Cet assemblage de Clairette et de Grenache blanc est puissant avec des parfums de fruits jaunes, pêche, ananas, et un bel équilibre entre gras, amertume et acidité. Mais c’est surtout le Vacqueyras blanc 2015 — une rareté puisque les blancs ne représentent que 5 % de l’appellation — qui a retenu toute mon attention. Le jus est gracieux, délié en bouche, avec des notes de miel et de pain au lait soutenues par une belle minéralité.
Les vins du domaine de la Jaufrette prouvent qu’il est possible de produire encore de beaux vins de garde. Mais il n’y a pas de secret : façonner des vins de cette trempe exige un travail précis dans les vignes, une vendange manuelle, des macérations longues et de la patience.