Travailler en famille est très commun dans le monde agricole et la viticulture ne fait pas exception à la règle. Pendant des décennies, les femmes ont collaboré gratuitement aux exploitations de leur mari. Elles n’avaient alors aucun statut, aucune protection sociale. Il faut attendre 1991 pour qu’elles obtiennent le statut de « conjoint collaborateur ». Côté descendance, si nombre d’enfants préfèrent aujourd’hui construire une carrière ailleurs, certains choisissent encore de reprendre le flambeau.
Les vigneron.ne.s avec lesquel.le.s je travaille sont parfois devenu.e.s des ami.e.s. En les écoutant, je sais que ce n’est pas un long fleuve tranquille. Pour certains, c’est même quelquefois extrêmement douloureux et la relation devient tellement conflictuelle que la seule solution est de partir pour reconstruire autre chose ailleurs. Car il se joue bien plus qu’une simple relation de travail quand il s’agit de sa mère, son frère, son cousin ou son conjoint.
Pourtant, lorsque les rapports sont sereins et équilibrés, travailler en famille offre le plus grand des luxes selon moi : la confiance. C’est vraiment ce qui m’a frappé lorsque j’ai interrogé les vignerons pour cet article. Anne Sutra de Germa du domaine Monplézy à Pézenas (Hérault) le résume ainsi : « en cas de pépin, le noyau dur, c’est nous ».
Au Mas Baudin, à Monfrin (Gard), Amélie Bonnard travaille avec son frère Vincent, épaulés par leurs parents aujourd’hui retraités. Lorsque je l’interroge sur les avantages et les inconvénients de travailler en famille, elle me répond : « Selon moi il n’y a que du positif. Avec mon frère nous sommes très proches, un peu comme des jumeaux. Cette proximité facilite énormément les échanges, la communication. Je me sens en confiance totale et nous sommes très complémentaires. J’ai parfois plus confiance en son jugement que dans le mien ».
Au domaine Belle en Crozes-Hermitage, Valentin Belle et son frère Guillaume ont intégré l’entreprise mais les parents sont encore présents. « Mon grand-père était coopérateur, il a attendu que mon père termine ses études pour s’installer en cave particulière. Aujourd’hui ma mère, mon père, mon frère et moi travaillons au domaine et, depuis deux, trois ans, les décisions se prennent de manière collégiale. » précise Valentin. Lorsque j’évoque le conflit de générations en cas de désaccord, il n’est pas tout à fait d’accord : « Non, je ne crois pas que ce soit un conflit de générations. Mes parents sont bien conscients qu’il faut faire évoluer les choses mais, en même temps, ils ont encore envie de pouvoir mettre leur grain de sel. C’est normal. »
Quand je les interroge sur la résolution des conflits, chacun sa méthode. Certains prônent le dialogue, le temps, quand d’autres préfèrent prendre une décision coûte que coûte. Mais il y a des règles qui reviennent, notamment celle de laisser de la liberté et de l’autonomie aux derniers arrivés. Une des recettes du succès selon Matthieu Baillette du Pas de la Dame, en appellation Malepère. Matthieu est associé à Franck Roger, son beau-frère. « Lorsque nous avons repris le domaine, mes parents ont pris du recul du jour au lendemain. Ils n’interviennent plus dans le processus de décision. Si nous avons besoin d’un conseil, ils sont là, mais c’est tout. » Au domaine Monplézy Anne Sutra de Germa voit les choses de la même manière : « D’abord il faut que les rôles soient bien définis et que les uns n’empiètent pas sur le travail des autres. Aujourd’hui, la vinification, c’est Benoit [son fils ]. On peut donner notre avis mais, maintenant, c’est lui le boss. Ensuite il faut accepter de s’effacer au profit des jeunes générations. » Lucide, elle poursuit : « Nous sommes très fiers de Benoit. On a conscience de la difficulté de ce métier avec la sécheresse, l’inflation, les années à venir ne seront pas forcément un cadeau que nous faisons à notre fils. Il faut qu’il puisse se sentir pleinement investi. » La cuvée Calcaire Nord signée Benoit Gil et non domaine Monplézy en est le parfait exemple.
La transmission d’une exploitation agricole pose aussi des questions d’équité au sein d’une famille. Notamment lorsque certains enfants ne sont pas impliqués dans l’activité. « Là aussi, pour que ça fonctionne, il faut que les choses soient très claires. Qu’il n’y ait pas de surprise, pas d’ambiguïté » m’explique Matthieu Baillette. « Nous avons créé une société avec Franck qui loue les terres de la famille. » Pour Amélie Bonnard, cela posera évidemment question au moment de la succession mais il n’y a pas de tabou. Ses frères et sœurs qui ne travaillent pas sur l’exploitation ont parfaitement conscience des sacrifices que cela a représenté pour Vincent et elle, mais elle se réjouit de voir sa sœur qui vit en Bretagne et office en tant que bouchère continuer à dire « notre vin ». Pour Anne Sutra de Germa c’est très important aussi d’y réfléchir en amont. « De mon côté, j’ai déjà tout transmis » m’explique-t-elle.
Quoi qu’il en soit, pour moi, les histoires de famille sont autant d’aventures humaines complexes, riches et sensibles que j’aime vous raconter au travers des délicieuses cuvées qui les incarnent
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forme moderne avec quelques giclées d écriture inclusive
bonne continuation!