La sélection de Vins d’Avenir ne propose que des domaines labellisés bio, à l’exception d’une poignée en cours de conversion. Certains travaillent en biodynamie et plusieurs revendiquent des cuvées « nature ».
Rassurez-vous : vous n’êtes pas le ou la seul-e à ne pas savoir de quoi il retourne précisément. Tentons d’y voir clair dans le vert … et dans le verre !
Le bio
Il s’agit de la catégorie la plus large mais aussi la plus facile à définir puisqu’il existe un label européen, des règles qui s’appliquent à tous les vins qui souhaitent revendiquer le statut bio. Apposer le logo AB sur l’étiquette nécessite de respecter un cahier des charges à la vigne et dans la cave qui privilégie les procédés non polluants, respectueux de l’écosystème et des animaux. Les produits en « ides », herbicides, pesticides et autres insecticides, issus de la synthèse chimique, sont par exemple exclus. Attention : cette interdiction ne signifie pas que les vignerons ne traitent pas leurs vignes mais qu’ils utilisent d’autres produits, d’origine naturelle, comme le soufre et le cuivre, pour protéger leurs raisins. Et, surtout, le travail du sol est privilégié. Le producteur est contrôlé par un organisme accrédité, le plus connu étant Ecocert. Il lui faut travailler trois ans de suite en bio avant d’obtenir la certification, d’où le statut transitionnel « en conversion ».
90 000 hectares de vignes sont en bio en France, soit 11 % des surfaces viticoles. On est loin de la marée verte mais le plafond « de vert » annoncé il y a quelques années est en train d’être largement dépassé.
Certains domaines revendiquent une agriculture « raisonnée », s’autorisant une quantité modérée d’intrants afin de maintenir une quantité de récolte satisfaisante. Méfiez-vous : cette qualification, abandonnée depuis le Grenelle de l’environnement de 2007, n’est plus règlementée et peut recouvrir des réalités très différentes.
Certes, tous les vignobles ne sont pas égaux face au bio, qui entraîne une baisse des rendements et une hausse des coûts de production. Mais être « en raisonné » est-il encore raisonnable ?
D’autres domaines considèrent d’ailleurs que le cahier des charges n’est pas assez exigeant puisqu’il autorise des pratiques douteuses (l’acidification, la désacidification, ou encore le traitement thermique du moût) et des additifs comme des tannins ou des copeaux de bois. C’est le cas de nombreux vignerons de Vins d’Avenir dont l’engagement environnemental dépasse bien largement les règles européennes. Certains d’entre eux se tournent pour cette raison vers une charte privée plus exigeante (comme Nature et Progrès) ou vers l’agriculture biodynamique, où l’herbe serait plus verte.
La biodynamie, plus verte que verte ?
En effet, si la certification AB est un prérequis, les normes exigées en agriculture biodynamique sont plus contraignantes : les doses de cuivre et de soufre sont plus faibles, l’ajout d’enzymes, de levures et de tanins est interdit, etc. Pourtant, la biodynamie ne peut se résumer à une forme d’agriculture bio plus poussée. Elle repose sur l’emploi de préparations à base de plante utilisées à des doses homéopathiques et s’appuie sur le calendrier lunaire. L’idée est d’apporter un équilibre global à la plante, de l’aider à se renforcer, plutôt que de soigner les symptômes des maladies qui surviennent dans les vignes et au chai. La pratique n’est pas encadrée par des textes officiels mais par des labels certificateurs privés, les plus importants étant Demeter et Biodyvin (le second étant moins strict que le premier).
Ses contempteurs crient à la pseudoscience. Et il faut bien reconnaître que son fondateur, l' »anthroposohe » autrichien Rudolf Steiner (1861-1925), n’a fourni aucun mécanisme explicatif, en appelant uniquement à la foi de ceux qui voudront bien le croire. Personnellement je préfère boire. Et je dois constater que les vins biodynamiques possèdent souvent un je-ne-sais-quoi, un toucher de bouche qui me les rend très plaisant.
Le naturel
Ça se complique encore un peu plus car il n’existe ni label ni définition réglementaire[1]. Les termes « nature » ou « naturel », seuls ou précédés du mot vin, sont même bannis des étiquettes. Dans cette famille des vins « vivants », parfois qualifiés de « nus », les intrants sont des intrus. Au premier chef le dioxyde de soufre (SO2), les fameux sulfites, accusés de donner mal à la tête et de masquer le « vrai » goût du vin, celui du terroir. Sachez toutefois qu’un vin en contient toujours (un peu) puisque les levures en produisent naturellement.
Mais il ne faudrait pas réduire la démarche du vin naturel à la seule question du sans soufre. D’abord parce que la famille n’arrive pas à se mettre d’accord. Les puristes n’acceptent aucune goutte de soufre ajouté- leurs vins sont parfois qualifiés de S.A.I.N.S (Sans Aucun Intrants Ni Sulfites), quand d’autres se revendiquent nature et mettent tout de même un peu de soufre dans toutes ou partie de leurs cuvées. Ensuite parce que le soufre, c’est l’arbre qui cache la forêt des additifs : 49 sont autorisés en vinification, auxquels s’ajoutent 70 auxiliaires technologiques, censés, eux, ne pas laisser de résidus dans la bouteille[2]. Et la plupart sont autorisés dans les vins bios :
Et c’est peu dire que le sujet l’est, sulfureux. Victimes de leur succès, ces vins sont aussi très souvent caricaturés et réduits aux seuls défauts pourtant de plus en plus minoritaires d’écurie, de pomme blette et autre goût de souris.
Certes, le vin nature peut parfois surprendre les palais non aguerris. Il arrive par exemple que le vin pétille en bouche. C’est parce que les vignerons, pour se passer de cet antiseptique, antibactérien et antioxydant puissant qu’est le soufre laisse ou ajoute du CO2 pour protéger leur jus. Dans ce cas, n’hésitez pas à carafer le vin voir à secouer la bouteille.
Selon moi le plus gros défaut du vin naturel n’est pas organoleptique mais linguistique. « Naturellement » un jus de raisins se transforme … en vinaigre. Élaborer un pinard sans béquille chimique requière un sacré savoir-faire dans les vignes et au chai pour transformer des grappes en divin nectar.
En raison notamment des divergences indiquées plus haut sur le niveau de soufre toléré, il n’existe pas de label privé qui fasse référence comme pour la biodynamie. Après plusieurs échecs[3], le Syndicat de défense des vins Nature’l, créé en septembre dernier, tente de nouveau de rassembler les cousins sous une bannière commune. Il a adopté au début du mois une charte « vin méthode nature ». Elle impose une certification en agriculture biologique, des vendanges manuelles, des moûts sans intrants ni filtration ou levurage et des cuves non sulfitées lors des fermentations mais avec une possibilité d’ajout d’une petite quantité de soufre avant la mise en bouteille. Les fondateurs du Syndicat ont entamé les démarches pour que cette définition devienne réglementaire d’ici cinq ans.
Ce serait à mon sens une très bonne chose puisque aujourd’hui une minorité de vignerons, plus souvent de gros opérateurs ou des maisons de négoce, s’engouffrent dans la brèche laissée par l’absence de cadre contraignant pour produire des vins « nature » mais en conventionnel. Des vins sans soufre mais bourrés de pesticide !
Il n’est pourtant pas sûr que cette nouvelle tentative de poser un cadre normatif et institutionnel sur cette pratique aboutisse, tant celles et ceux qui l’ont choisi — souvent au prix de grands tracas administratifs — sont de fortes personnalités qui souhaitent préserver leur liberté. Chassez le naturel …
Échelle de tolérance des différents labels avec l’exemple du soufre (quantité maximale pour les vins rouges, en H2SO4 total) :
- Vin conventionnel : 150 mg/l.
- Label AB : 100 mg/l.
- Label Nature et Progrès : 70 mg /l.
- Label Demeter : 70 mg/l.
- Label Biodyvin : 80 mg/l.
- Label Vin méthode nature : 30 mg/l.
- Vins S.A.I.N.S : sans sulfite ajouté.
Léa Desportes
Un peu de lectures pour et contre pour alimenter (et hydrater) la réflexion et s’engueuler à table :
« Quand la vigne bio fait débat », Le Monde, 22 janvier 2020
« Porté par son succès, le vin naturel affirme sa dissidence », Reporterre, 15 novembre 2019.
« L’enquête qui pique », Le Point, 23 janvier 2020 : un dossier dans lequel Jacques Dupont critique les vins nature et biodynamie.
« L’anthroposophie, discrète multinationale de l’ésotérisme », Le Monde diplomatique, juillet 2018.
[1] L’INAO a enterré en mars 2018 la tentative d’apporter une définition règlementaire au vin naturel.
[2] Il faut noter que les producteurs de vin, qui n’est pas considéré comme une denrée alimentaire par la règlementation européenne en raison d’un taux d’alcool supérieur à 1,2 %, ne sont pas tenus d’indiquer sur l’étiquette les ingrédients et les calories, contrairement, par exemple, aux embouteilleurs d’eau minérale, qui doivent tout détailler.
[3] L’Association des Vins Naturels (AVN) et Les Vins S.A.I.N.S rassemblent très peu de vignerons.
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