Christian Etienne est le seul restaurant étoilé au guide Michelin à l’intérieur des remparts d’Avignon. Accolé au Palais des Papes, l’histoire du bâtiment n’est pas banale. Construit entre 1190 et 1220, il est même antérieur à la résidence pontificale. C’est en 1979 que Christian Étienne s’y installe à son compte et rend ses lettres de noblesse à cet établissement qui n’était alors qu’une cantine. Aujourd’hui à la retraite, c’est la famille Sevin qui veille à la réputation de l’institution avignonnaise. Guilhem Sevin, qui fut le sous-chef de Christian Etienne pendant plus de 15 ans, officie en cuisine et sa femme Corinne accueille les clients avec grâce et professionnalisme.
Ce mois-ci j’ai eu le plaisir d’échanger avec Antoine Olivain, le chef sommelier du lieu. Enthousiaste, curieux et volontaire, il a accepté de me dévoiler les secrets de son métier et ses coups de cœur viticoles. Rencontre avec un passionné, pour qui le vin est une histoire de transmission et d’émotion.
Comment es-tu devenu sommelier ?
Cela s’est fait par étapes. Ma famille est originaire d’Alsace et mes parents se sont installés dans le Sud en 1998. Mon père, suite à une reconversion professionnelle, a embrassé une carrière dans le vin, plutôt à des postes techniques en cave. Je l’ai souvent accompagné et c’est lui qui m’a transmis le virus. Le monde du vin me plaisait mais j’ai vu mon père s’abimer physiquement. On le dit peu mais le travail en cave est très rude. J’ai donc d’abord suivi des études dans le commerce international ici, à Avignon. En licence professionnelle, un couple franco-chinois me parle du métier d’importateur de vins. Premier déclic, j’ai envie de voyager. En master 2 je pars à Bali pour un stage dans le restaurant Bridges, qui cherche quelqu’un pour s’occuper de leur magasin de vins. À la fin de mon stage je leur propose de créer un poste de sommelier pour leur restaurant gastronomique. Ils acceptent et je vais y rester quatre ans et demi. Cette expérience fut extrêmement enrichissante. Je me forme au métier de sommelier, nous développons notamment un bar à vin et un concept de dégustation.
Je pars ensuite en Nouvelle Zélande pour épauler Hans Herzog qui possède une winery dans la région de Marlborough. Je découvre un rapport au vin complètement différent. C’est un pays qui n’a pas une tradition viticole ancestrale comme en France, donc l’approche du vin est plus simple, sans a priori, plus accessible, plus lisible aussi pour le consommateur. J’ai beaucoup appris à leurs contacts.
Alors que je m’apprête à partir m’installer aux États-Unis, j’apprends que le seul restaurant qui me fait rêver, Christian Etienne, cherche un sommelier. Changement de cap et retour en France !
En quoi consiste ton métier ?
À proposer des vins qui vont créer une émotion gustative. Il faut équilibrer la carte entre des valeurs sures, des références ou des appellations renommées, et des pépites encore peu connues qui apportent de la valeur ajoutée. C’est le cas par exemple du Sablet blanc du Château Cohola.
La situation d’Avignon est particulière. C’est la troisième destination touristique de France avec environ 60% d’étrangers et un pic au moment du Festival. Il faut en tenir compte dans la carte. Naturellement les clients les plus difficiles ne sont pas les étrangers mais les Français.
Il s’agit également de conseiller nos hôtes. J’aime le défi et surprendre un client qui arrive pétri de convictions en lui faisant découvrir un vin peu connu me galvanise.
Il y a également un aspect commercial et une part de gestion dans ce métier. Il faut optimiser les ventes, gérer les stocks, la saisonnalité des achats et, bien sûr, générer du profit.
Quels sont les avantages et les inconvénients de ton travail ?
La principale difficulté ce sont les horaires. Cela fait six ans que je n’ai pas passé les fêtes avec ma famille. J’ai raté les 30 ans de tous mes amis. C’est un métier difficile à concilier avec une vie amoureuse et encore moins une vie de famille… Toutefois on ne s’ennuie jamais et on apprend tous les jours. Les rencontres sont riches et humaines, bien au-delà de l’aspect purement mercantile d’autres métiers.
Comment travailles-tu avec le chef ?
Nous travaillons main dans la main. Je connais sa cuisine. Longtemps chef de partie poisson, son goût le porte vers les produits de la mer. Il est passionné et fonctionne au coup de cœur, comme moi. Très souvent les sauces font le lien entre le vin et le plat. Elles sont très importantes dans la cuisine du chef et sont la base des accords.
As-tu en mémoire un accord met et vin particulièrement réussi ?
Le chef avait élaboré un plat de Saint-Jacques cloutées au chorizo, céleri en purée et en pickles, vinaigrette à l’huile d’olive et au yuzu [un agrume asiatique]. J’avais choisi un Pessac-Léognan Latour Martillac 2014. La vivacité du cépage Sauvignon rappelait l’acidité du yuzu tandis que le Sémillon, plus charnu, faisait ressortir la douceur et l’onctuosité des Saint-Jacques. Et les notes empyreumatiques du vin, apportées par un élevage en barriques de 18 mois, accentuaient les touches fumées du chorizo.
Quelles sont selon toi les appellations qui ont le vent en poupe ?
Pour les rouges, le Lubéron et, pour les blancs, les Vacqueyras. Ce sont deux appellations méridionales mais qui bénéficient de terroirs frais et cela leur confère un équilibre remarquable.
Quelle est ta plus grande émotion de dégustation ?
La cuvée Coteau de Vernon millésime 2015 du domaine de Georges Vernay, LA référence de l’appellation Condrieu.
Parlons des fêtes. Quel vin recommandes-tu pour passer un bon réveillon de Noël ?
Tout dépend du menu. Mais je dirais n’importe quel vin qui saura réunir les âmes et créer une union magique autour de la table.
Le Châteauneuf-du-Pape du domaine de la Porte rouge peut faire l’unanimité, c’est fruité et gourmand, les tannins sont fondus. C’est bon tout de suite.
Et pour le Champagne ?
La maison de référence reste pour moi Krug. Leur blanc de blancs est extraordinaire. En Champagne de vignerons je conseille la maison Egly-Ouriet.
Un vin à boire au réveillon du Nouvel an avec des amis ?
Un vin léger avec peu de sulfites qui ne donnera pas mal à la tête. Par exemple l’IGP Vaucluse du domaine La Célestière.
Un vin à offrir à beau-papa pour les fêtes ?
Si c’est un buveur d’étiquettes, là encore j’aimerais le surprendre. Par exemple avec le très beau Pic Saint Loup du château de Valflaunès Un peu de Toi. Il se rendra compte qu’on peut faire du vin ailleurs qu’en Bourgogne (et moins cher).