En avril, la vigne sur le fil du rasoir

Un coup de froid inédit …

@ UGO AMEZ pour Le Monde

Vous en avez sans doute entendu parler : l’agriculture française a subi de terribles épisodes de gel tout au long de ce mois d’avril. Terribles par leurs effets — des mois de travail anéantis parfois en une seule nuit —, leurs conséquences économiques et psychologiques pour les producteurs, et par leur ampleur. Ces gelées 2021 ont en effet touché l’ensemble du territoire français. Aucune région viticole n’a été épargnée. En Champagne, on estime les pertes liées au gel entre 25 à 30 %. 80% des vignes du Bordelais sont concernées, totalement ou partiellement. Toute la Bourgogne a été frappée, de Chablis jusqu’au Mâconnais. En vallée du Rhône et en Provence, le bilan varierait de 30 à 60 % de pertes de récolte. Certaines appellations du Languedoc ont été décimées …

… mais pas surprenant

La cause est bien identifiée, elle porte un nom qui vous est malheureusement familier : le réchauffement climatique. Car c’est en réalité la chaleur de la fin mars qui a été précurseur du désastre agricole comme l’explique Serge Zaka, docteur en agro-météorologie : « la douceur exceptionnelle a permis aux végétaux d’exploser : les bourgeons ont éclos, les feuilles et les fleurs se sont retrouvées à l’air libre. Le froid d’avril est moins exceptionnel, une trentaine de records négatifs ont été battus, mais il a trouvé des bourgeons éclos. Or, dans le bourgeon, la plante résiste à -20°C quant à l’air libre, c’est -1°C. »

Les problèmes liés au climat ont été récurrents ces derniers années — on pense notamment à la terrible sécheresse qui s’est abattue sur le sud de la France en 2019 — et ils s’inscrivent dans la durée. « Avant, les dégâts liés au gel arrivaient tous les cinq ou six ans. Depuis 2010, c’est presque tous les ans. Et non, ce n’est pas une décennie noire, pas un épisode : c’est le climat du futur. Cela ne va pas se passer tous les ans, mais ça va devenir fréquent, à peu près jusqu’en 2050. Après cela, il va faire de plus en plus doux, les gelées vont devenir de plus en plus rares et les dégâts régresser. Il y aura d’autres problèmes liés à la canicule et à la sécheresse, mais c’est un autre sujet. » alerte Zaka.

Pas d’étonnement non plus du côté des zones touchées, bien connues des viticulteurs. Comme le rappelle Christian Chabirand du Prieuré la Chaume, lui plutôt épargné : « en réalité nous savons quelles sont les zones gélives, elles sont cartographiées. Grosso modo pas de surprise : ce sont bien elles qui ont gelé cette année. » Et ces secteurs se trouvent souvent en plaine. En vallée du Rhône, région soumise à de très nombreux microclimats, les fonds de vallons subissent des gelées beaucoup plus fortes. Thibault Kerhoas du domaine Delacroix Kerhoas dans le Gard en a fait la triste expérience pour les derniers millésimes : sur les quatre dernières années, ses vignes en plaine, notamment de Sauvignon, ont gelé trois fois.

Mais il est aussi arrivé que des parcelles bien exposées, donc plus avancées, aient subi davantage de dommages. En Bourgogne par exemple, les masses d’air polaires des nuits du 5/6 et du 6/7 avril ont plutôt atteint les climats bénéficiant de belles expositions en coteaux. Notez qu’il peut exister des différences de températures majeures au sein d’une même parcelle … Qui a dit que vigneron était un métier facile ?

Pas de solution miracle

Bourgeon de vigne protégé du gel par aspersion d’eau et formation d’une couche de glace. © Le Point @Thierry Gaudillere

De nombreux outils ont été déployés par les domaines et les maisons pour sauver ce qui pouvait l’être. Le Fief Noir en Anjou, durement touché, a utilisé sur trois hectares environ des bougies qui dégagent de la chaleur au sol, au niveau des pieds de vigne. Il en faut donc beaucoup, avec une efficacité limitée dès qu’un peu de vent se lève. Le co-propriétaire Alexis Soulas admet qu’elles ne peuvent pas représenter une solution pérenne : « très chères (environ 3000€/hectare), hyper polluantes, elles restent allumées seulement douze heures donc il faut calculer le moment le plus opportun pour les allumer. » L’œnologue-vigneron a également utilisé un voile, une sorte de couverture posée sur les vignes pour les réchauffer. Cette solution a très bien marché : « la parcelle que nous avons protégée avec a été intégralement épargnée. Mais c’est très compliqué à déployer, cela demande de mobiliser sept à huit personnes. »

D’autres techniques antigel ont été employées : chaufferettes au fuel, câbles chauffants, brûlage de paille ou encore aspersion d’eau dont les gouttelettes forment une coque de glace qui protège le bourgeon mais dont il faut disposer en quantité suffisante pour tenir jusqu’à la remontée des températures au-dessus de 3 °C (sinon c’est l’effet inverse qui se produit !). Certains ont investi dans des tours éoliennes (30 000 et 40 000 euros pour environ 5,5 hectares protégés) ou des hélicoptères pour brasser l’air, plus chaud en altitude, et le plaquer au sol pour le réchauffer.

Toutes ces moyens de lutte limitent les dégâts mais ne les empêchent pas. Elles sont particulièrement coûteuses en main-d’œuvre, en ressource et en installation de matériel. Elles sont accessibles surtout aux plus grands producteurs mais pas aux petits qui n’ont pas les moyens d’investir. Et, double peine, ces derniers ne sont souvent pas assurés. « À une époque les vignerons ont été aidés pour s’assurer. Les assureurs en ont profité pour rehausser leurs tarifs et c’est pourquoi aujourd’hui peu de vignerons s’assurent » se souvient Christian Chabirand. S’assurer est un pari que Thibault Kerhoas craint de ne pas gagner : « il y a fort à parier qu’une fois que j’aurai souscrit une assurance, cette année-là, il ne gèlera pas ! ». Sans compter que les assureurs seraient aujourd’hui réticents à signer des contrats avec des domaines viticoles selon Alexis Soulas.

Un procédé qui n’entraîne pas de surcoût consiste à changer ses habitudes en matière de taille. Tailler tard permet de retarder le débourrement (la sortie des bourgeons). C’est la bonne résolution prise au Mas Baudin qui a décidé de tailler les zones gélives en dernier dès l’an prochain.

La vigne résiste

Les agriculteurs subissent les aléas climatiques mais la nature déploie encore de petits miracles. Ainsi, la vigne — contrairement aux arbres fruitiers —, développe des bourgeons supplémentaires quand les premiers ont été détruits par la gelée ou une autre cause. Raison pour laquelle il est encore trop tôt pour estimer précisément les quantités qui vont manquer dans les cuves. Ces repoussent varient selon les cépages. Le Chardonnay fait par exemple très peu de bourgeons secondaires, contrairement au Grenache, au Merlot ou au Cinsault.

À l’Homme de changer ses modes de vie et de production pour mettre fin au désordre climatique. En attendant, soyons solidaires avec nos vignerons et avec nos agriculteurs, il en va de notre survie alimentaire.

Sources

Les témoignages des vignerons de la sélection Vins d’Avenir ont été recueillis par Réjane.

Julie Reux, « Le gel de plus en plus fréquent dans les vignes, c’est le climat du futur », La Revue du Vin de France, le 7 avril 2021 : https://www.larvf.com/le-gel-de-plus-en-plus-frequent-dans-les-vignes-c-est-le-climat-du-futur,4738499.asp

Jérôme Baudouin, « Les gelées d’avril ont durement touché le vignoble français », La Revue du Vin de France, le 7 avril 2021 : https://www.larvf.com/vin-gel-gelees-avril-vignoble-touche-touraine-saint-emilion-recolte-languedoc-inflorescences,4524336.asp

Clément L’Hôte, « En Bourgogne un épisode de gel « jamais vu depuis 30 ans » », 22 avril 2021 : https://www.vitisphere.com/actualite-93883-En-Bourgogne-un-episode-de-gel-jamais-vu-depuis-30-ans-.htm

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