L’assemblage est un moment fort dans le calendrier du vigneron. Après les vendanges, les raisins sont pressés et la fermentation se déroule le plus souvent en cuve. C’est ensuite — parfois plusieurs mois après — qu’interviennent les assemblages. Généralement ils ont lieu au printemps, une fois que les jus se sont stabilisés. Concrètement, il s’agit de mélanger différentes cuves en vue de la mise en bouteille de la gamme. Lors de l’assemblage, chaque cuve est échantillonnée puis dégustée, les jus sont classés par volume et qualité et c’est ainsi que l’on va travailler la gamme en partant du haut de la pyramide : d’abord les cuvées les plus prestigieuses puis les vins « entrée de gamme ». Ce sont plusieurs heures de dégustation intense qui nécessitent beaucoup de concentration.
C’est un moment crucial dans la vie du vigneron qui lui permet de se faire une idée précise du style du millésime de l’année et de tenter de l’exprimer à travers les cuvées. C’est également un moment commercial fort puisque c’est lors des assemblages que les viticulteurs décident combien de bouteilles il faut produire pour chaque cuvée. Beaucoup de vignerons de la sélection Vins d’Avenir sont de « jeunes » vignerons dans la mesure où ils ont hérité/acheté un domaine en pleine croissance. Prévoir les ventes à l’avance n’est donc pas chose aisée. Être trop ambitieux peut coûter très cher au vigneron (coût des matières premières, du stockage des bouteilles et de l’immobilisation du stock) et, à l’inverse, ne pas en prévoir suffisamment peut être dramatique commercialement. Faute de vin, les clients peuvent être tentés de se tourner vers d’autres produits. Au Château Juvenal, c’est la qualité des jus qui va déterminer le nombre de bouteilles à réaliser pour les belles cuvées. « Pour notre cuvée Perséide ou La Terre du Petit homme on vise l’excellence. Si, lors du millésime en cours, à cause des aléas climatiques, nous avons moins de jus très qualitatifs, alors nous ferons moins de bouteilles cette année là. Pas question de compléter avec des vins de moindre qualité » m’explique Mathieu Rabin.
La plupart des domaines ont donc beaucoup plus de cuves que de cuvées. C’est le cas au Mas Baudin à Montfrin où Amélie Bonnard détaille : « nous avons quinze cuves qui nous permettent de réaliser cinq cuvées différentes ».
Lors des assemblages, le vigneron n’est pas seul. En famille ou en équipe, il est important de confronter les points de vue. Dans la plupart des régions de France, l’œnologue conseil du domaine est toujours présent. C’est un prestataire extérieur qui accompagne le domaine, dans ses choix en terme de viticulture, de vinification mais également parfois dans la construction de la gamme. La place accordée à l’œnologue dépend de la stratégie du vigneron. Pour Amélie au Mas Baudin : « c’est un arbitre entre nous, il apporte un regard extérieur salvateur. Ce n’est pas lui qui nous dit quoi faire mais il nous permet de prendre du recul ». Au Château Juvenal, c’est Philippe Cambie, œnologue star de la vallée du Rhône, qui participe avec Mathieu et Sébastien aux assemblages. Son nom est mentionné sur les bouteilles, sa participation revendiquée par l’équipe. Sébastien avait des vignes en cave coopérative avant de créer Château Juvenal. Il voulait avoir un œil extérieur qui puisse l’épauler pour monter en gamme. Pour Mathieu Rabin : « Philippe Cambie est un œnologue extraordinaire. J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi pointu en dégustation. Il se souvient de cuves dégustées il y a des semaines alors qu’il suit une soixantaine de domaines. Chez nous les assemblages sont assez rapides car, entre la vendange et les assemblages, nous dégustons très régulièrement les vins et, le jour J, nous avons déjà une idée assez précise de ce que nous allons faire ».
Pourtant cette méthodologie n’est pas partagée par tous. Lorsque j’interroge Paul Rieflé, je suis surprise d’apprendre qu’au domaine Rieflé en Alsace pas d’œnologue conseil et des assemblages bien différents. L’Alsace a hérité d’une tradition germanique de vins de cépage. Les appellations génériques correspondent aux cépages Riesling, Gewürztraminer, etc. La famille Rieflé, pourtant, produit des vins d’assemblages. « Nous avons six cépages blancs en Alsace : Riesling, Sylvaner, Pinot gris, Pinot blanc, Muscat et Gewürztraminer. Il nous a semblé facile et intéressant commercialement de les regrouper en trois cuvées différentes. C’est la gamme Ad Quadratum. Le Riesling et le Sylvaner sont des cépages qui vont produire des vins vifs et secs. Ils se recoupent également en terme de circonstances de consommation autour des fruits de mer par exemple ou à l’apéritif. C’est pourquoi nous les avons réunis dans la cuvée Éclat. Les raisins sont vendangés ensemble, parfois pressés ensemble mais dans tous les cas assemblés avant fermentation. Pour le reste de la gamme, ce sont des lieux-dits et des crus où le cahier des charges ne revendique que des mono-cépages donc pas d’assemblage non plus.
Il est vrai que par souci de pédagogie et dans le but d’adopter une lisibilité plus grande, de nombreux vignerons développent des cuvées en mono-cépages et nombre d’entre elles sont excellentes. Pourtant les vins assemblés ne sont pas seulement les jus de raisins récoltés sur une parcelle mais bien le fruit d’un choix humain et c’est toute la magie du vin.