« Je n’aime pas les vins boisés. » Combien de fois ai-je entendu cette phrase ! Le Nez du fût de chêne, initialement paru en 2004 et entièrement réécrit aujourd’hui, tord le cou à tous les préjugés sur les vins élevés en fût et permet à tous de comprendre la différence fondamentale entre « le boisé et le boisage ».
Cet ouvrage magnifique réunit tous les talents des éditions Jean Lenoir pour proposer un coffret au graphisme moderne avec de magnifiques illustrations, douze arômes extrêmement réalistes (j’ai particulièrement aimé la note de café torréfié qui apparaît avec l’élevage en fûts neufs) et surtout la plume précise et juste de Léa Desportes qui a effectué un travail de recherche considérable pour produire un texte pointu.
Destiné plutôt aux professionnels du vin, Le Nez du fût de chêne est hyper complet. Les arômes sont accompagnés de fiches pour chacun d’entre eux, d’un carnet qui décrit précisément la fabrication d’un fût et d’un livre extrêmement fouillé qui aborde l’histoire du tonneau, comment et pourquoi l’élevage influence les vins, comment le vigneron peut le maîtriser ou encore quels sont les vins adaptés à l’élevage. Toutes ces informations permettent de comprendre à quel point l’élevage sous bois relève d’une tradition séculaire qui, lorsqu’elle est maîtrisée, sublime le divin nectar.
C’est avec beaucoup de pédagogie que Léa Desportes a accepté de répondre à quelques questions clefs sur le fût de chêne.
Que dirais-tu à quelqu’un qui prétend ne pas aimer les vins boisés ?
Je lui dirais qu’il n’a peut-être pas eu de chances ! Mais prétendre n’aimer aucun vin élevé sous bois n’a pour moi pas plus de sens que d’affirmer apprécier uniquement les vins de telle région ou de telle couleur. Il existe bien sûr des ratés ou des excès (les « vins de menuisier ») mais le fait est que les grands vins (et spiritueux) sont quasiment tous élevés en fûts. Et puis l’élevage en fût n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur : trop présent, le bois est pourfendu ; bien équilibré, il se fait oublier. Car un élevage réussi n’ajoute pas, il révèle les qualités intrinsèques du liquide, en permettant au cépage, au terroir et aux conditions du millésime d’exprimer leur typicité. Il lui permet de se stabiliser, de s’intégrer, de se complexifier.
Pour les adeptes des vins nature, allergiques aux produits et aux interventions œnologiques, j’ajoute que le bois, matériau naturel et vivant, libère dans le vin des tannins (appelés ellagitannins) beaucoup plus oxydables que la majorité des constituants naturels du vin. Par conséquence, ces ellagitannins consomment en priorité l’oxygène dissous, protégeant le vin et permettant ainsi que réduire significativement les doses de soufre ajouté !
Qu’as-tu appris de plus surprenant sur les vins et les fûts en rédigeant cet ouvrage ?
Du point de vue historique, je n’avais pas mesuré que, si le tonneau est un outil ancestral, dont l’utilisation à grande échelle pour le transport du vin s’est développée pendant l’Empire romain, il faillit disparaître dans les années 1970 pour plusieurs raisons (palettisation et la conteneurisation de la chaîne logistique, mise en bouteille à la propriété alors que les vins étaient vendus en fûts au négoce, modernisation des chais avec la multiplication des cuves en béton ou en acier inoxydable thermorégulées, production en masse de vins de cépages dans le Nouveau monde, etc.).
C’est d’autant plus surprenant que le fût revient en force au cours de la décennie 80 avec la mode du « boisé intense » tant appréciée par le critique américain Robert Parker, partisan d’un goût rond, « sucré » et puissant. En 1980, la production française de fûts de chêne — l’Hexagone domine le marché mondial — tombe à 150 000. En 2018 elle est remontée à 670 000, dont plus des deux-tiers sont vendus à l’export.
Comment le vigneron détermine si un vin doit être boisé ou non ?
Le bois ne convient pas à tous les vins. La maturité, l’état sanitaire des raisins et leur composition, ainsi que les qualités variétales de chaque cépage, méritent d’être pris en compte. Avec un vin rouge trop léger, pauvre en polyphénols, l’élevage peut provoquer un assèchement, un renforcement de l’astringence, une diminution des impressions de charnu et une chute importante de la couleur.
Et puis, le vin, c’est aussi une affaire de goût. Un vigneron peut préférer un élevage en cuve ou en amphore. Et j’ajouterai … de coût ! Un fût, surtout neuf, n’est pas à la portée de toutes les bourses (entre 600€ à 900€ HT, voire davantage en fonction des tonneliers et des options choisies) et il faut pouvoir valoriser suffisamment sa cuvée pour que cette étape soit rentable.
Comment le vigneron choisit-il ses fûts ?
Il existe des fûts pour tous les goûts. L’espèce de chêne, la finesse de son grain ou encore le type de chauffe font considérablement varier l’apport que le fût aura sur le vin. Pour faire son choix, en concertation avec le tonnelier, le vinificateur doit prendre en compte la couleur du cépage et les spécificités du terroir. C’est pourquoi les assemblages sont de préférence pratiqués après l’élevage de chaque lot de vins dans des fûts aux propriétés et âge différents. Ajoutons l’effet millésime : les variations d’une année à l’autre sont telles qu’il est impossible de définir le fût idéal pour un vin donné.
Aurais-tu des vins où l’élevage t’a semblé particulièrement maîtrisé à nous conseiller ?
Dans la sélection de Vins d’Avenir, le Saint-Émilion grand cru du château d’Arcole casse le cliché des Bordeaux surboisés. L’élevage en barrique (c’est le terme à Bordeaux, on parle de pièce en Bourgogne), qui dure de 14 à 18 mois selon le millésime, apporte au nez des notes toastées et grillées mais qui ne dominent pas les odeurs éclatantes de fruits rouges. L’élevage permet aux tannins de se fondre et au jus de s’intégrer : en bouche, tout est en place, le vin est suave et d’une grande fraîcheur.
Dans le Rhône méridional, les Gigondas du château de Saint-Cosme, particulièrement les lieux-dits, sont en bon exemple de ce que requiert un élevage en fûts ambitieux : de la patience. Le vigneron, Louis Barruol, sait que ses terroirs produisent des vins qui ont la matière et la puissance pour supporter un élevage long. Déboucher trop tôt, le vin est marqué par le bois. Il faut attendre quelques années pour qu’il révèle toute sa finesse.
La première version de l’ouvrage s’appelait Le Nez du fût de chêne neuf, il a été transformé en Nez du fût de chêne. Pourquoi ?
Tous les vignerons n’utilisent pas 100% de fûts neufs, loin de là ! Leur proportion varie selon les régions. Plus un vin est tannique, plus des fûts neufs sont nécessaires pour l’assouplir. Le bois s’épuise progressivement avec son usage répété. Sa capacité à enrichir le jus fermenté en arômes baisse avec les ans, mais les notes du bois frais (noix de coco, clou de girofle, vanille) peuvent participer significativement au parfum des vins pendant trois ou quatre millésimes. L’oxydation ménagée ne dure elle aussi pas plus de quelques années (les pores du bois sont obstrués par des précipitations graduelles de tartre, de matières colorantes et autres colloïdes) mais il existe aujourd’hui plusieurs méthodes pour éliminer les premiers millimètres de bois afin d’améliorer les échanges entre les parois du fût et le vin.
Pour en savoir plus : visiter le site des Éditions Jean Lenoir.