La polyculture, une pratique ancestrale qui a de l’avenir

Raisins mais aussi abricots, olives ou encore miel, plusieurs vigneron.ne.s Vins d’Avenir pratiquent la polyculture. Ils nous expliquent les avantages agronomiques et économiques de leur choix.

Exemple d’agroforesterie. @ IFV.

La spécialisation des exploitations agricoles débute au milieu du XIXe siècle. D’une polyculture vivrière elles passent à une monoculture souvent intensive et soumise à des impératifs courtermistes de rentabilité. La viticulture ne fait pas exception. Le modèle des vignes arborées, diffusé en Gaule par les Romains, s’efface lui aussi avec la mécanisation, la spécialisation et les exigences de productivité, la doxa agronomique considérant alors que la vigne ne doit souffrir d’aucune concurrence sous peine de voir ses rendements baisser. Avec l’apparition des engrais de synthèse après la Seconde guerre mondiale disparaît l’intérêt d’élever des bêtes pour le fumier qui fertilisait les plants.

Depuis quelques années, les initiatives pour faire cohabiter la vigne avec d’autres cultures se multiplient, même s’il reste difficile de quantifier le phénomène.

Lorsque Thibault Kerhoas reprend le domaine Delacroix Kerhoas (Gard), il décide de créer un verger multi fruits bio. Et ce pour plusieurs raisons : « D’abord par goût personnel : j’aime les fruits et je rêve d’une agriculture qui soit aussi vivrière pour ma famille. J’aimerais d’ailleurs aller plus loin et développer dans un futur proche un petit élevage en plein champ de volaille ou de cochons. Ensuite parce que c’est un avantage économique d’avoir deux cultures, notamment en cas de gel ou de maladies. Cela permet d’avoir une deuxième source de revenus. »

Au Mas Baudin (Gard), les parents d’Amélie et Vincent Bonnard ont diversifié dès le début leur exploitation. « Mes parents avaient planté en autofinancement des tomates, des pommes de terre, des pêches et des abricots mais c’était économiquement très difficile les années avec du gel. Mon père a eu envie de planter de la vigne et d’amener les raisins à la cave coopérative pour varier les revenus. Il souhaitait aussi nous transmettre un patrimoine mieux valorisé puisque la vigne a plus de valeur foncière. Puis, dans les années 2000, nous avons décidé de planter des oliviers, tout simplement car nous en avions marre de consommer de mauvaises huiles. »

Autre atout de la polyculture : les périodes d’activité se complètent. À la vendange des raisins succède par exemple la récolte des olives. Cela permet d’avoir recours à du personnel qualifié et formé pour les deux cultures et moins à des saisonniers. Mais c’est aussi du travail supplémentaire, comme le souligne Jérôme Busato du Château Cohola (Vaucluse) où se côtoient des vignes, des oliviers mais aussi des abeilles. « On a décidé de produire du miel car on a eu envie de toucher à l’élevage. On pourrait parler de troupeau d’abeilles. Et l’élevage c’est une autre forme de pensée que le végétal. Les problématiques sont différentes. »

La polyculture compte aussi parmi les principes de l’agroécologie. Elle crée un cercle vertueux, plus respectueux de l’environnement. Au Mas Baudin, les résidus de pressurage des olives ainsi que l’eau issue du pressurage sont utilisés comme un amendement très riche pour les vignes.

La diversité des cultures diminue la susceptibilité à la maladie, l’un des problèmes majeurs liés à la monoculture. Thibault Kerohas confirme : « Les arbres constituent une barrière de protection naturelle face aux nuisibles. Un hectare d’abricotiers au milieu des vignes limite les ravageurs. En outre, ils abritent des chauves-souris et des oiseaux qui participent à la biodiversité et protègent indirectement la vigne. Les chauve-souris par exemple se nourrissent des papillons responsables du ver de la grappe. » Et une biodiversité bien installée permet de réduire drastiquement l’utilisation de béquilles chimiques. Naturellement, pour que des animaux s’installent dans les cultures, il faut a minima être en agriculture biologique et bannir les produits tueurs en « -icides » (pesticides, insecticides et autres fongicides).

Ajoutons que la vitiforesterie nourrit les sols en apportant de la matière organique et qu’elle protège la vigne du gel et de la canicule.

Les avantages de la polyculture sont nombreux et ils s’inscrivent dans une volonté forte de la part du vigneron ou de la vigneronne de développer une agriculture durable. Des pratiques que nous suivons de près à Vins d’Avenir…

Visite au Clos Roussely

Cet été, j’ai eu la chance de m’arrêter au Clos Roussely, en plein cœur du village d’Angé, en Touraine.

L’histoire de Vincent Roussely est pour le moins singulière. S’il représente la quatrième génération d’une famille de vignerons, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’a pas « hérité » du domaine. Son arrière-grand-père Anatole achète le Clos en 1917 et s’installe comme distillateur et vigneron. Son grand-père Marcel développe le vignoble et crée une activité de négoce en parallèle. Le père de Vincent, Jean Claude Roussely, ne garde finalement que l’activité de négociant et vend ses vignes.

Pendant ce temps, Vincent étudie et se forme. Il passe un diplôme d’œnologue et travaille à l’étranger dans différents domaines. C’est en 2001 qu’il saisit l’opportunité de s’installer et qu’il rachète alors les bâtiments du Clos Roussely ainsi qu’une partie des vignes. Il réalise son « rêve de gosse » et recrée le domaine familial. Petit à petit, parcelle après parcelle.

Aujourd’hui le Clos Roussely s’étend sur huit hectares. Les vignes sont situées au-dessus du chai en pierre de tuffeau (une pierre calcaire caractéristique de la région) et forment une toiture végétale. L’encépagement est composé à 80 % de Sauvignon, complété par du Côt (le nom régional du Malbec), du Pineau d’Aunis, du Cabernet franc et du Gamay.

En 2007 le domaine est converti à l’agriculture biologique et 2021 marquera la première vendange certifiée en biodynamie. Cette démarche s’inscrit profondément dans la philosophie de Vincent Roussely. L’exploitation est cultivée sans herbicide, sans pesticide et vendangée à la main. Mais ce n’est pas tout : le travail du sol dans les plus vieilles vignes est réalisé grâce à la traction d’un magnifique cheval de trait et des ânes et des moutons se promènent dans les vignes. Lors de notre conversation, Vincent m’a confié : « c’est un métier solitaire, vigneron. Lorsque tu es dans la vigne entouré d’animaux, l’atmosphère est toute autre. Pour moi la nature est un écosystème qui inclus faune et flore ». J’ai aimé cette remarque pleine de sensibilité.

Vincent a la chance d’être épaulé de Jonathan Canard, responsable commercial enthousiaste, passionné et fidèle qui officie depuis dix ans au domaine (c’est suffisamment rare pour être souligné). C’est avec Jonathan et Jean Claude Roussely que j’ai eu le plaisir de déguster les bouteilles du Clos. La gamme, belle et bien construite, permet de découvrir toutes les facettes du Sauvignon. Il est tour à tour séducteur, exubérant et salivant dans la cuvée L’Escale, plus fin dans Le Clos, gastronomique avec de l’amplitude et de belles acidités dans le Touraine-Chenonceaux blanc puis complètement atypique et déroutant dans la cuvée Irréductible vinifiée en amphore et sans soufre. Les vins rouges n’ont rien à envier aux blancs. La cuvée Canaille en 100 % Gamay est un exceptionnel rapport qualité prix. L’Irréductible rouge, à base de vieilles vignes de pineau d’Aunis et vinifié sans soufre, est bien trop souvent en rupture à mon goût. Le domaine démontre également sa capacité à produire des vins de garde avec les cuvées Rêve de Gosse et Touraine-Chenonceaux rouge, des vins plein de chair, avec une matière intense et une complexité aromatique plus grande. Pour le second, 80% de Côt et 20% de Cabernet franc produisent un vin qui embaume les fruits rouges écrasés. La bouche propose quelque chose de plus animal, auquel se mêle des notes de réglisse et de poivre, et offre une très belle longueur. J’ai eu un coup de cœur pour la très jolie bulle du domaine, La Favorite, un Chardonnay non dosé produit en méthode traditionnelle. Et je ne vous ai pas parlé de leur délicieux jus de raisin ! Vous l’aurez compris, je ne peux que vous recommander de faire un saut au domaine. Sinon, vous savez où trouver les vins !

La magie des assemblages

L’assemblage est un moment fort dans le calendrier du vigneron. Après les vendanges, les raisins sont pressés et la fermentation se déroule le plus souvent en cuve. C’est ensuite — parfois plusieurs mois après — qu’interviennent les assemblages. Généralement ils ont lieu au printemps, une fois que les jus se sont stabilisés. Concrètement, il s’agit de mélanger différentes cuves en vue de la mise en bouteille de la gamme. Lors de l’assemblage, chaque cuve est échantillonnée puis dégustée, les jus sont classés par volume et qualité et c’est ainsi que l’on va travailler la gamme en partant du haut de la pyramide : d’abord les cuvées les plus prestigieuses puis les vins « entrée de gamme ». Ce sont plusieurs heures de dégustation intense qui nécessitent beaucoup de concentration.

C’est un moment crucial dans la vie du vigneron qui lui permet de se faire une idée précise du style du millésime de l’année et de tenter de l’exprimer à travers les cuvées. C’est également un moment commercial fort puisque c’est lors des assemblages que les viticulteurs décident combien de bouteilles il faut produire pour chaque cuvée. Beaucoup de vignerons de la sélection Vins d’Avenir sont de « jeunes » vignerons dans la mesure où ils ont hérité/acheté un domaine en pleine croissance. Prévoir les ventes à l’avance n’est donc pas chose aisée. Être trop ambitieux peut coûter très cher au vigneron (coût des matières premières, du stockage des bouteilles et de l’immobilisation du stock) et, à l’inverse, ne pas en prévoir suffisamment peut être dramatique commercialement. Faute de vin, les clients peuvent être tentés de se tourner vers d’autres produits. Au Château Juvenal, c’est la qualité des jus qui va déterminer le nombre de bouteilles à réaliser pour les belles cuvées. « Pour notre cuvée Perséide ou La Terre du Petit homme on vise l’excellence. Si, lors du millésime en cours, à cause des aléas climatiques, nous avons moins de jus très qualitatifs, alors nous ferons moins de bouteilles cette année là. Pas question de compléter avec des vins de moindre qualité » m’explique Mathieu Rabin.
La plupart des domaines ont donc beaucoup plus de cuves que de cuvées. C’est le cas au Mas Baudin à Montfrin où Amélie Bonnard détaille : « nous avons quinze cuves qui nous permettent de réaliser cinq cuvées différentes ».

Lors des assemblages, le vigneron n’est pas seul. En famille ou en équipe, il est important de confronter les points de vue. Dans la plupart des régions de France, l’œnologue conseil du domaine est toujours présent. C’est un prestataire extérieur qui accompagne le domaine, dans ses choix en terme de viticulture, de vinification mais également parfois dans la construction de la gamme. La place accordée à l’œnologue dépend de la stratégie du vigneron. Pour Amélie au Mas Baudin : « c’est un arbitre entre nous, il apporte un regard extérieur salvateur. Ce n’est pas lui qui nous dit quoi faire mais il nous permet de prendre du recul ». Au Château Juvenal, c’est Philippe Cambie, œnologue star de la vallée du Rhône, qui participe avec Mathieu et Sébastien aux assemblages. Son nom est mentionné sur les bouteilles, sa participation revendiquée par l’équipe. Sébastien avait des vignes en cave coopérative avant de créer Château Juvenal. Il voulait avoir un œil extérieur qui puisse l’épauler pour monter en gamme. Pour Mathieu Rabin : « Philippe Cambie est un œnologue extraordinaire. J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi pointu en dégustation. Il se souvient de cuves dégustées il y a des semaines alors qu’il suit une soixantaine de domaines. Chez nous les assemblages sont assez rapides car, entre la vendange et les assemblages, nous dégustons très régulièrement les vins et, le jour J, nous avons déjà une idée assez précise de ce que nous allons faire ».

Pourtant cette méthodologie n’est pas partagée par tous. Lorsque j’interroge Paul Rieflé, je suis surprise d’apprendre qu’au domaine Rieflé en Alsace pas d’œnologue conseil et des assemblages bien différents. L’Alsace a hérité d’une tradition germanique de vins de cépage. Les appellations génériques correspondent aux cépages Riesling, Gewürztraminer, etc. La famille Rieflé, pourtant, produit des vins d’assemblages. « Nous avons six cépages blancs en Alsace : Riesling, Sylvaner, Pinot gris, Pinot blanc, Muscat et Gewürztraminer. Il nous a semblé facile et intéressant commercialement de les regrouper en trois cuvées différentes. C’est la gamme Ad Quadratum. Le Riesling et le Sylvaner sont des cépages qui vont produire des vins vifs et secs. Ils se recoupent également en terme de circonstances de consommation autour des fruits de mer par exemple ou à l’apéritif. C’est pourquoi nous les avons réunis dans la cuvée Éclat. Les raisins sont vendangés ensemble, parfois pressés ensemble mais dans tous les cas assemblés avant fermentation. Pour le reste de la gamme, ce sont des lieux-dits et des crus où le cahier des charges ne revendique que des mono-cépages donc pas d’assemblage non plus.

Il est vrai que par souci de pédagogie et dans le but d’adopter une lisibilité plus grande, de nombreux vignerons développent des cuvées en mono-cépages et nombre d’entre elles sont excellentes. Pourtant les vins assemblés ne sont pas seulement les jus de raisins récoltés sur une parcelle mais bien le fruit d’un choix humain et c’est toute la magie du vin.

En avril, la vigne sur le fil du rasoir

Un coup de froid inédit …

@ UGO AMEZ pour Le Monde

Vous en avez sans doute entendu parler : l’agriculture française a subi de terribles épisodes de gel tout au long de ce mois d’avril. Terribles par leurs effets — des mois de travail anéantis parfois en une seule nuit —, leurs conséquences économiques et psychologiques pour les producteurs, et par leur ampleur. Ces gelées 2021 ont en effet touché l’ensemble du territoire français. Aucune région viticole n’a été épargnée. En Champagne, on estime les pertes liées au gel entre 25 à 30 %. 80% des vignes du Bordelais sont concernées, totalement ou partiellement. Toute la Bourgogne a été frappée, de Chablis jusqu’au Mâconnais. En vallée du Rhône et en Provence, le bilan varierait de 30 à 60 % de pertes de récolte. Certaines appellations du Languedoc ont été décimées …

… mais pas surprenant

La cause est bien identifiée, elle porte un nom qui vous est malheureusement familier : le réchauffement climatique. Car c’est en réalité la chaleur de la fin mars qui a été précurseur du désastre agricole comme l’explique Serge Zaka, docteur en agro-météorologie : « la douceur exceptionnelle a permis aux végétaux d’exploser : les bourgeons ont éclos, les feuilles et les fleurs se sont retrouvées à l’air libre. Le froid d’avril est moins exceptionnel, une trentaine de records négatifs ont été battus, mais il a trouvé des bourgeons éclos. Or, dans le bourgeon, la plante résiste à -20°C quant à l’air libre, c’est -1°C. »

Les problèmes liés au climat ont été récurrents ces derniers années — on pense notamment à la terrible sécheresse qui s’est abattue sur le sud de la France en 2019 — et ils s’inscrivent dans la durée. « Avant, les dégâts liés au gel arrivaient tous les cinq ou six ans. Depuis 2010, c’est presque tous les ans. Et non, ce n’est pas une décennie noire, pas un épisode : c’est le climat du futur. Cela ne va pas se passer tous les ans, mais ça va devenir fréquent, à peu près jusqu’en 2050. Après cela, il va faire de plus en plus doux, les gelées vont devenir de plus en plus rares et les dégâts régresser. Il y aura d’autres problèmes liés à la canicule et à la sécheresse, mais c’est un autre sujet. » alerte Zaka.

Pas d’étonnement non plus du côté des zones touchées, bien connues des viticulteurs. Comme le rappelle Christian Chabirand du Prieuré la Chaume, lui plutôt épargné : « en réalité nous savons quelles sont les zones gélives, elles sont cartographiées. Grosso modo pas de surprise : ce sont bien elles qui ont gelé cette année. » Et ces secteurs se trouvent souvent en plaine. En vallée du Rhône, région soumise à de très nombreux microclimats, les fonds de vallons subissent des gelées beaucoup plus fortes. Thibault Kerhoas du domaine Delacroix Kerhoas dans le Gard en a fait la triste expérience pour les derniers millésimes : sur les quatre dernières années, ses vignes en plaine, notamment de Sauvignon, ont gelé trois fois.

Mais il est aussi arrivé que des parcelles bien exposées, donc plus avancées, aient subi davantage de dommages. En Bourgogne par exemple, les masses d’air polaires des nuits du 5/6 et du 6/7 avril ont plutôt atteint les climats bénéficiant de belles expositions en coteaux. Notez qu’il peut exister des différences de températures majeures au sein d’une même parcelle … Qui a dit que vigneron était un métier facile ?

Pas de solution miracle

Bourgeon de vigne protégé du gel par aspersion d’eau et formation d’une couche de glace. © Le Point @Thierry Gaudillere

De nombreux outils ont été déployés par les domaines et les maisons pour sauver ce qui pouvait l’être. Le Fief Noir en Anjou, durement touché, a utilisé sur trois hectares environ des bougies qui dégagent de la chaleur au sol, au niveau des pieds de vigne. Il en faut donc beaucoup, avec une efficacité limitée dès qu’un peu de vent se lève. Le co-propriétaire Alexis Soulas admet qu’elles ne peuvent pas représenter une solution pérenne : « très chères (environ 3000€/hectare), hyper polluantes, elles restent allumées seulement douze heures donc il faut calculer le moment le plus opportun pour les allumer. » L’œnologue-vigneron a également utilisé un voile, une sorte de couverture posée sur les vignes pour les réchauffer. Cette solution a très bien marché : « la parcelle que nous avons protégée avec a été intégralement épargnée. Mais c’est très compliqué à déployer, cela demande de mobiliser sept à huit personnes. »

D’autres techniques antigel ont été employées : chaufferettes au fuel, câbles chauffants, brûlage de paille ou encore aspersion d’eau dont les gouttelettes forment une coque de glace qui protège le bourgeon mais dont il faut disposer en quantité suffisante pour tenir jusqu’à la remontée des températures au-dessus de 3 °C (sinon c’est l’effet inverse qui se produit !). Certains ont investi dans des tours éoliennes (30 000 et 40 000 euros pour environ 5,5 hectares protégés) ou des hélicoptères pour brasser l’air, plus chaud en altitude, et le plaquer au sol pour le réchauffer.

Toutes ces moyens de lutte limitent les dégâts mais ne les empêchent pas. Elles sont particulièrement coûteuses en main-d’œuvre, en ressource et en installation de matériel. Elles sont accessibles surtout aux plus grands producteurs mais pas aux petits qui n’ont pas les moyens d’investir. Et, double peine, ces derniers ne sont souvent pas assurés. « À une époque les vignerons ont été aidés pour s’assurer. Les assureurs en ont profité pour rehausser leurs tarifs et c’est pourquoi aujourd’hui peu de vignerons s’assurent » se souvient Christian Chabirand. S’assurer est un pari que Thibault Kerhoas craint de ne pas gagner : « il y a fort à parier qu’une fois que j’aurai souscrit une assurance, cette année-là, il ne gèlera pas ! ». Sans compter que les assureurs seraient aujourd’hui réticents à signer des contrats avec des domaines viticoles selon Alexis Soulas.

Un procédé qui n’entraîne pas de surcoût consiste à changer ses habitudes en matière de taille. Tailler tard permet de retarder le débourrement (la sortie des bourgeons). C’est la bonne résolution prise au Mas Baudin qui a décidé de tailler les zones gélives en dernier dès l’an prochain.

La vigne résiste

Les agriculteurs subissent les aléas climatiques mais la nature déploie encore de petits miracles. Ainsi, la vigne — contrairement aux arbres fruitiers —, développe des bourgeons supplémentaires quand les premiers ont été détruits par la gelée ou une autre cause. Raison pour laquelle il est encore trop tôt pour estimer précisément les quantités qui vont manquer dans les cuves. Ces repoussent varient selon les cépages. Le Chardonnay fait par exemple très peu de bourgeons secondaires, contrairement au Grenache, au Merlot ou au Cinsault.

À l’Homme de changer ses modes de vie et de production pour mettre fin au désordre climatique. En attendant, soyons solidaires avec nos vignerons et avec nos agriculteurs, il en va de notre survie alimentaire.

Sources

Les témoignages des vignerons de la sélection Vins d’Avenir ont été recueillis par Réjane.

Julie Reux, « Le gel de plus en plus fréquent dans les vignes, c’est le climat du futur », La Revue du Vin de France, le 7 avril 2021 : https://www.larvf.com/le-gel-de-plus-en-plus-frequent-dans-les-vignes-c-est-le-climat-du-futur,4738499.asp

Jérôme Baudouin, « Les gelées d’avril ont durement touché le vignoble français », La Revue du Vin de France, le 7 avril 2021 : https://www.larvf.com/vin-gel-gelees-avril-vignoble-touche-touraine-saint-emilion-recolte-languedoc-inflorescences,4524336.asp

Clément L’Hôte, « En Bourgogne un épisode de gel « jamais vu depuis 30 ans » », 22 avril 2021 : https://www.vitisphere.com/actualite-93883-En-Bourgogne-un-episode-de-gel-jamais-vu-depuis-30-ans-.htm

Un millésime deux milles vins chaud et précoce

Partout en France l’hiver a été doux et les raisins ont été récoltés très tôt. Après une première vague tout début août sur le pourtour méditerranéen et en Corse, les vendanges étaient lancées dans tout l’Hexagone dès le 20 du mois. Pour quels résultats ? Tour de France du millésime 2020 avec quatre domaines de la sélection Vins d’Avenir.

Dans la vallée du Rhône méridionale, les vignes ont souffert de gelées printanières. Elles ont provoqué la perte d’environ 25% de la récolte selon Pierre Chaupin, maître de chai au Château Simian. Un lourd tribut au gel qui est compensé par la qualité des raisins avec une maturité satisfaisante et de belles acidités. Des pluies salvatrices pendant les vendanges ont permis de gagner encore en fraîcheur.

Dans le Rhône Nord, les premiers coups de sécateurs pour les raisins blancs ont été donnés en août, tout début septembre pour les rouges, fait rarissime. L’excellent état sanitaire des vignes laisse présager d’un très beau millésime même si, là aussi, l’eau a fait la différence. Pour Valentin Belle, qui élabore des vins en appellations Hermitage et Crozes-Hermitage au domaine éponyme, tout le monde n’a pas été logé la même enseigne : « certains vignerons ont cruellement manqué d’eau ».

L’année aura mis les nerfs des vignerons bordelais à rude épreuve avec un printemps particulièrement difficile. La forte humidité a favorisé l’apparition du mildiou, une des principales maladies de la vigne qui peut entraîner d’importantes diminutions des rendements. « A plusieurs reprises nous avons pensé tout perdre et, finalement, même s’il a manqué d’eau en été, les raisins ne sont pas juteux mais concentrés » se rassure Monique Bonnet du Château Suau en appellation Cadillac, à une trentaine de kilomètres au Sud de Bordeaux. A défaut d’une grosse récolte, les efforts sont récompensés par de jolies cuvées. Les vins sont tanniques, colorés et très aromatiques, avec des degrés en alcool modérés.

Vendanges 2020 au lieu-dit Steinstück. © Instagram Riéflé wines.

A l’autre bout de la France, en Alsace, 2020 marque un record de précocité : les vendanges ont démarré le 25 août. Dans cette région aussi l’hiver a été particulièrement doux avec peu de pluies, le printemps chaud et l’été très sec. Heureusement, au domaine Rieflé, une série d’orages avant la récolte ont là encore permis de débloquer les maturités et de sauver le millésime. En outre, pour ne pas se laisser déborder par des vendanges trop étirées dans le temps qui aurait apporté des raisins surmûris, les frères Riéflé avait anticipé et gonflé leurs équipes de vendangeurs.

2020 devrait donc être un beau millésime, même si le réchauffement climatique frappe tout le pays et que l’extrême précocité des vendanges n’est pas bon signe. Dans l’ensemble des régions viticoles, nos interlocuteurs s’accordent à dire que l’agriculture bio, biodynamique et les bonnes pratiques agronomiques aident leur vignoble à s’adapter, avec des résultats dans le verre.

Au Château Simian et au domaine Rieflé, l’enherbement des vignes permet au jus de gagner en acidité malgré des millésimes de plus en plus chauds. 1% de matière organique supplémentaire apporterait 100 millimètres de pluie stockée en plus. En Alsace, où le profil des vins se doit d’être tendu et aérien, Paul et Thomas Riéflé réfléchissent aussi à un système de palissage qui garantirait plus d’ombre aux raisins. Sans oublier que la bio permettrait aussi à la vigne de mieux se défendre contre les maladies. Pour Monique Bonnet, qui a entamé la conversion du Château Suau en 2008, c’est une évidence : « la bio apporte une résistance aux maladies cryptogamiques plus forte. Nous nous en sortons souvent mieux que certains conventionnels. »

Nouvelles du front végétal #2

Sylvain Badel dans ses vignes.

Dans les vignes de Sylvain Badel, c’est le moment de mettre les raisins à l’air et au soleil. La récolte s’annonce belle avec un petit rendement par rapport aux deux derniers millésimes mais des raisins de belle qualité. Les vendanges seront précoces, très certainement fin août pour les Condrieu.

Les vignes et le beau couvert végétal du domaine Riéflé il y a deux semaines. © Domaine Riéflé.

En Alsace, au domaine Riéflé, on termine le deuxième passage de palissage manuel. L’objectif est de rentrer dans le rang les sarments qui s’en échappent encore et d’en profiter pour éliminer les entre-cœurs (les rameaux secondaires susceptibles de concurrencer le rameau principal). On en profite aussi pour faire un peu d’effeuillage pour aérer la zone des grappes et ainsi diminuer le risque de maladie.

La vigne est magnifique, en très bonne santé. Le printemps a été très sec et ensoleillé mais heureusement de l’eau est tombée ces dernières semaines (70mm environ depuis début juin). Les prochaines semaines s’annoncent très chaudes et ensoleillées, ce qui va accélérer la nouaison des grappes (c’est-à-dire la transformation de la baie en fruit). Les vendanges devraient là aussi être extrêmement précoces.

© Château Tour des Gendres

Partons dans le Sud-Ouest, où le Château Tour des Gendres a dû, suite aux dernières précipitations, effectuer de nouveaux traitements, indispensables en agriculture biologique, pour lutter contre les champignons et la prolifération de maladies. Les travaux en vert de la vigne sont terminés et l’équipe du domaine a planté un hectare de Sauvignon sur la commune de Saint Julien. Pour l’heure, ce sont les mises en bouteilles qui occupent la famille De Conti.

Mise en bouteille au domaine Wilfried. © Domaine Wilfried.

Au domaine Wilfried, c’est aussi l’effervescence de la mise en bouteille du millésime 2019 des cuvées Vin de copains, Les paradis perdus et l’Affable. De jolis vins frais, gourmands et nature. Toutes ces cuvées sont quasiment déjà entièrement pré-vendues. Vins d’Avenir a heureusement pu en réserver quelles caisses !

La taille au domaine de la Porte Rouge

Gabriel et Bernard Friedman

La vigne est une liane qui, naturellement, se développe, s’allonge et se raméfie. Il faut donc la tailler pour que la production de fruits l’emporte sur celle des bois. La taille représente la principale tâche du vigneron durant les mois d’hiver, lorsque la vigne est en repos végétatif. Il s’agit d’un travail rude, qui nécessite de passer de longues heures accroupi ou penché dans le froid. C’est aussi un exercice très complexe, qui mélange réflexion et intuition. D’autant que les enjeux sont « de taille » : la conduite de la vigne détermine la quantité et la qualité de la récolte à venir et, en contrôlant la vigueur de la plante, impacte la pérennité des souches.

Si les vignerons continuent à se référer au vieux proverbe « taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de mars », dans les faits, la surface du vignoble décide du début des premiers coups de sécateurs. Pour tailler la trentaine d’hectares du domaine Monplézy, dans Le Languedoc, Anne Sutra de Germa est obligée de démarrer tôt. Pour tailler ses 3,5 hectares de Châteauneuf-du-Pape, Bernard Friedmann peut se permettre d’attendre que les températures se radoucissent. Car une météo plus clémente signifie que la sève, qui descend lorsque la vigne est en dormance, remonte dans les bois. Lorsque l’on la taille, la vigne « pleure » : elle laisse couler de la sève qui agit comme un baume protecteur sur la plaie et une barrière contre les champignons à l’origine des maladies du bois.

Il existe plusieurs types de taille. Celle qui est pratiquée à Châteauneuf-du-Pape est dite « en gobelet ». Le cep est taillé en cinq bras qui forment comme un bol :

Cep de Grenache taillé en gobelet.

« C’est une taille spécifiquement adaptée au Grenache, cépage buissonneux dont les rameaux retombent sur le sol » m’explique Bernard Friedmann. Il ajoute : « cette taille offre un meilleur ensoleillement et permet un passage de l’air optimale. C’est une taille courte adaptée aux vents violents. En outre, les fruits sont protégés sous le végétal des rayons ardents du soleil provençal. » Cette taille noble est contraignante : les vignes ne peuvent pas être palissées (c’est-à-dire relevées entre deux fils) et elles doivent être récoltées à la main. Ses Syrah sont taillées en Guyot, une taille répandue dans de nombreux vignobles qui permet de palisser la vigne, ce qui rend possible de mécaniser certains travaux.

Cep de Syrah taillé en Guyot.

Bernard Friedmann est un vigneron exigeant et méticuleux. Quand la plupart de ses collègues taillent avec des sécateurs électriques, lui préfère toujours la cisaille. Il défend son choix : « La lame de la cisaille est arrondie et peut épouser complétement la plante. Elle n’écrase pas la fibre du bois et détériore moins les vaisseaux qui permettent à la sève de monter dans la plante. C’est moins dangereux : impossible de se couper avec une cisaille. C’est plus économique aussi : alors que les sécateurs tombent en panne, une cisaille, c’est increvable ! ». Lorsque j’objecte que c’est probablement plus physique, Bernard me répond, amusé : « Certes, mais comme d’ici quelques années j’imagine qu’on nous dira que les boitiers de nos sécateurs électriques accrochés toute la journée à la ceinture sont nocifs, alors… ».

En matière de taille, il existe la théorie et la pratique. Chaque pied est différent et nécessite de s’adapter. Il existe également autant de méthode de taille que de tailleurs. Le vigneron de Châteauneuf reconnaît bien volontiers qu’il préfère de plus en plus déléguer ce travail difficile à un de ces employés particulièrement doué. Un aveu qui n’est pas monnaie courante dans le monde du vin …

La vinification au domaine Delacroix Kerhoas

Après les vendanges, les vignerons s’affairent dans leur cave pour la vinification. Dans les cuves, le moût, c’est-à-dire le jus de raisin, devient du vin grâce aux levures qui transforment les sucres en alcool. C’est la fermentation alcoolique. La majorité des vignerons, en conventionnel ou en bio, utilisent du dioxyde de soufre (SO2)- les fameuses « sulfites »- à différentes étapes de la vinification. Antiseptique, le SO2 agit contre le développement des microorganismes susceptible d’altérer le vin. Antioxydant, il protège le moût puis le vin d’une oxydation trop forte.

Pourtant, au domaine Delacroix Kerhoas, pas une goutte de soufre n’est utilisée en cave. « Ici, tout est vinifié sans sulfite » me confirme Thibault Kerhoas. « Pas de soufre, pas de collage, pas d’élevage en barrique non plus. Nous ne voulons pas maquiller le vin. » Le domaine est certifié bio et Nature et Progrès, un label particulièrement exigeant. Thibault Kerhoas est de ces vignerons qui souhaitent produire des vins avec le moins d’intrants chimiques possibles.

Pourtant, alors que pour lancer la fermentation alcoolique certains vignerons- ils sont nombreux parmi la sélection de Vins d’Avenir- s’en remettent uniquement aux levures indigènes, celles naturellement présentes sur la pruine des raisins et dans les chais, ici, on ajoute dans le moût des levures exogènes, achetées dans le commerce. Dans le jargon on parle de « levures sèches actives » (LSA). Thibault Kerhoas explique : « le risque, lorsque l’on réalise une fermentation sans soufre, c’est que le vin s’oxyde plus rapidement. Plus la fermentation démarre tard, plus le risque croît. Les levures sont un moindre mal par rapport au SO2. Les gens en mettent bien dans leur salade, tandis que le soufre, lui, est un poison ! » Voilà qui est dit. Mais c’est quoi, au juste, une levure ? « Une levure est un champignon unicellulaire apte à provoquer la fermentation des matières organiques. Les levures sont employées pour la fabrication du vin, de la bière, des alcools industriels, des pâtes levées ou encore des antibiotiques. » Thibault prépare un « pied de cuve » : il introduit dans une cuve un levain pour favoriser la multiplication des levures et ensemencer ensuite les sept autres cuves. Les boulangers se servent de la même levure, saccharomyces cerevisiae, pour lever leur pâte. Pour le pain comme pour le vin, utiliser des levures sélectionnées permet d’obtenir un résultat constant.

Pour le reste, quelques délestages (le moût est pompé et entièrement transvasé dans une autre cuve), quelques remontages (le jus est pompé en bas pour être versé en haut, sur le chapeau de marc) pour enrichir le vin puis on le laisse tranquille jusqu’à la mise en bouteille qui aura lieu en mars.

Thibault reste curieux et, si sa philosophie et sa technique ont fait leurs preuves, il aime toujours apprendre de manière empirique. Chaque millésime apporte son lot de nouveautés. Cette année, il a essayé une macération semi-carbonique. Cette méthode consiste à mettre des grappes de raisins entières, vendangées manuellement, non éraflées et non foulées, dans une cuve hermétique saturée de CO2. Il se produit alors une fermentation intracellulaire à l’origine d’arômes très fruités. Une nouvelle cuvée va également voir le jour à la fin de l’automne : une Roussane vinifiée en méthode traditionnelle (celle que l’on n’a plus le droit d’appeler champenoise).

Après dégustation de l’intégralité des cuves, pas de doute, au domaine Delacroix Kerhoas, 2019 est un beau millésime : fruité, expressif, avec une étonnante acidité malgré la chaleur de cet été.

Les vendanges au château Cohola

Au château Cohola, sur des terrasses exposées plein ouest dans le superbe massif des dentelles de Montmirail, les vendanges 2019 ont démarré le 9 septembre. J’y ai passé une matinée, au cours de laquelle nous avons vendangé de belles grappes, parfumées et saines, des cépages blancs Viognier, Grenache blanc, Marsanne et Rousanne :

Les raisins sont récoltés manuellement dans des sceaux puis déposés dans de petites cagettes pour être acheminés jusqu’au chai :

Jérôme Busato et de sa femme Cheli Alberca souhaitaient planter des cépages précoces et tardifs qui arrivent à maturité en même temps pour pouvoir les récolter ensemble et obtenir des jus qui soient riches et mûrs, tout en conservant de la fraicheur et de l’acidité.

Arrivés au chai, les raisins sont entièrement égrappés (on dit aussi éraflés, c’est-à-dire que les grains de raisin sont séparés de la rafle, le support pédonculaire vert et ligneux) et foulés (les baies sont éclatées pour en extraire le jus).

Le moût est ensuite laissé au contact de la pellicule du raisin. Au bout de 24h, la vendange est pressée avec douceur pour ne pas écraser les pellicules et pépins fragilisés. Cette « macération pelliculaire » permet d’augmenter le potentiel aromatique du futur vin puisque c’est dans la pellicule que se trouvent l’essentiel des précurseurs d’arôme du vin.