Anthony Gomez, La Table Hot

La Table Hot est un petit restaurant situé dans un passage avignonnais à proximité de la rue commerçante Joseph Vernet. Son propriétaire, Anthony Gomez, est un chef joyeux au parcours atypique. En attendant de pouvoir s’attabler de nouveau dans son restaurant remis à neuf pendant le confinement, il a gentiment accepté de répondre à mes questions et de partager une recette emblématique de sa cuisine, méditerranéenne et provençale.

Comment est née la Table Hot ?

J’ai travaillé pendant sept ans en tant que chef de bar auprès des frères Pourcel au Jardin des Sens à Montpellier [institution gastronomique de la ville auréolée de trois étoiles au guide Michelin de 1998 à 2006] . Là-bas je travaillais beaucoup la mixologie et je baignais dans la gastronomie. Puis je suis parti travailler dans le monde de la nuit notamment au Bokao’s à Avignon. J’ai eu envie de quitter ce milieu et d’ouvrir mon établissement, ce que j’ai fait avec la Table Hot en 2017. J’ai commencé par cuisiner des burgers et des salades mais j’étais frustré. J’avais envie d’aller plus loin. Je me suis donc inscrit la même année pour passer un CAP cuisine, que j’ai pu passer en un an au lieu de deux.  J’y ai appris la technique. J’ai travaillé auprès de Pascal Barnouin, chef emblématique de la Maison de la Tour à Avignon qui m’a formé et énormément appris.

Comment définirais-tu ta cuisine ?

C’est une cuisine provençale et méditerranéenne. J’utilise beaucoup de saveurs, parfois à rebours des tendances modernes qui privilégient un ou deux produits. Au départ j’utilisais même trop de saveurs et d’épices différentes. J’ai appris à équilibrer mais j’aime toujours les explosions de saveurs en bouche.

Est-ce que tu as des ingrédients favoris ? Et si oui, lesquels ?

La lavande, sans hésitation ! Je l’utilise en huile, en infusion, en aromate ou fraiche. J’en utilise parfois pour pocher du poulet, c’est délicieux. J’adore également travailler différents poivres. Le dernier que j’ai découvert c’est le poivre de Penja noir et blanc, un poivre camerounais assez puissant.

Comment as-tu vécu cette période si spéciale du confinement ?

Comme tout le monde, au début, j’ai eu énormément d’inquiétudes. Mais j’ai décidé de rester positif et d’en profiter pour faire tout ce que j’avais prévu depuis longtemps mais que je n’avais pas réalisé faute de temps. J’ai refait toutes les peintures du restaurant, un petit coin salon dégustation, la plomberie et l’électricité. Depuis le 11 mai j’ai mis en place des formules « drive » à emporter qui fonctionnent plutôt bien. Même si économiquement cela ne couvre pas les pertes dues à la fermeture, cela m’a permis de relancer l’activité et de me remettre aux fourneaux. Il en restera quelque chose je pense. Les clients se sont rendus compte qu’ils pouvaient manger de la « vraie » cuisine à la maison et, pour les restaurants, c’est une façon de faire découvrir notre cuisine un peu nouvelle.

Et comment vois-tu la reprise de l’activité ?

Avec un peu de bon sens cela me paraît possible. On peut mettre les menus sur des ardoises pour que les gens ne les touchent pas par exemple. Il me semble que dans la restauration nous avons déjà des conditions d’hygiènes drastiques. Nous respectons les normes HACCP. Il faut du bon sens et du cas par cas.

Et le vin ?

C’est relativement nouveau pour moi, j’ai beaucoup appris du sommelier des frères Pourcel. C’est important d’avoir des vins bios mais surtout des vins de vignerons avec une histoire à raconter. Je suis très amateur de vins blancs. J’ai une faiblesse pour le Condrieu.

Comment choisis-tu tes fournisseurs ?

J’aime travailler avec de l’artisanat local intelligent. Je suis sensible au bio mais si le bio vient de l’autre bout du monde cela n’a pas de sens.

La daube avignonnaise d’Anthony Gomez

Ingrédients pour 4 personnes

  • Une épaule d’agneau
  • 200 grammes de poitrine de porc
  • 1 bouteille de vin blanc
  • 1 oignon
  • 4 carottes
  • 4 gousses d’ail
  • des herbes de Provence
  • 1 bouquet garni
  • 1 jus d’oranges pressées
  • 1 zeste d’orange
  1. Mettez l’épaule dans une cocotte, puis les oignons et carottes. Rajoutez l’ail et le vin.
  2. Laissez mariner toute une nuit.
  3. Le lendemain, faites bouillir puis écumez.
  4. Rajoutez le jus et le zeste d’orange.
  5. Rajoutez un fond d’agneau (bouillon réalisé avec les eaux de l’agneau).
  6. Recouvrez et laissez cuire au four pendant 3 / 4 heures. Une fois que vous pouvez retirer l’os de l’épaule… c’est cuit !
  7. Au moment de dresser, ajoutez un peu de zeste d’agrumes, de citron vert ou de pamplemousse.

Mariez cette recette avec un grand cru alsacien du domaine Riéflé Landmann ou un Châteauneuf du Pape blanc du Château Simian. Vous êtes plutôt rouge ? Optez pour un côtes du Rhône village Sablet du Château Cohola.

Accords mets & vins (d’Avenir)

J’apprécie particulièrement quand vous me racontez vos moments de dégustation avec les vins de la sélection. Bien sûr parce que c’est l’occasion d’avoir de vos nouvelles- et cela me réjouit-, mais aussi parce que ces messages m’encouragent, me donnent des idées et me permettent d’avoir des retours concrets sur les vins que j’ai choisis pour vous.

Choisir le bon vin pour un plat (ou l’inverse) est un métier : celui exercé par le ou la sommelièr(e). Il ne s’agit pas pour autant d’une science exacte puisque c’est aussi une affaire de goût. Toutefois, il existe quelques règles très simples qui peuvent vous guider. Les voici, illustrées par vos essais aussi originaux que gourmands.

Il existe tout d’abord les accords par analogie où les odeurs, les saveurs et les textures du vin répondent à ceux du plat. C’est le cas de l’accord proposé par mon ami Dominique , grand amateur de vins et de bonne chère qui a marié la cuvée Marsanne du domaine du Petit Roubié à un homard breton. Association qu’il a lui-même qualifiée de « grandiose ». Pourquoi ? Le homard est un crustacé à la chair délicate, iodée et très parfumée… tout comme cette Marsanne, cultivée en Languedoc les pieds dans l’eau aux portes de l’étang de Thau, au nez fleuri et aux arômes d’agrumes.

La cuvée Alvéoline accompagne un porc au romarin et fèves tonka.

C’est aussi le cas de l’accord de François et Évelyne qui ont choisi de déguster du porc romarin aux fèves tonka mijoté pendant quatre heures à basse température avec Alvéoline rouge du domaine Rouanet Montcélèbre. La grande concentration et les notes soutenues de fruits rouges de ce vin rouge du Languedoc, riche mais peu tannique, mettent en avant la légère sucrosité du plat. Les arômes de garrigue de cette belle cuvée sont aussi sublimés par les délicates notes de romarins.

A l’inverse, les accords d’opposition ou d’attaque sont les plus risqués mais, lorsqu’ils sont réussis, ils sont superbes. J’ai en mémoire un fromage bleu dégusté avec la cuvée Arabesque du domaine alsacien Rieflé Landmann à base de Gewurztraminer et avec un peu de sucres résiduels où s’exprimait admirablement toute la complexité et du vin et du fromage.

Il existe ensuite des accords d’intensité. Il s’agit alors de doser la puissance d’un vin (en tannins ou en alcool) pour qu’il n’écrase ou au contraire qu’il ne fasse pas de la figuration face au plat. C’est le choix judicieux de Nadine et Gérard qui, avec des blancs de poulet sautés et des pommes aux four, ont plébiscité la Muscadelle de Sylvain Badel, une Syrah nord-rhodanienne tout en finesse et en élégance.

Si vous ne voulez pas faire de faux pas, suivez la règle des accords de couleur : les poissons dont la chaire est blanche se marient généralement mieux avec les vins blancs et les viandes rouges avec les vins … rouges. Et les fromages ? Ils sont souvent blancs. Faut-il donc les manger accompagnés de vin blanc ? Et oui ! N’en déplaise à nombre de Français fiers de boire un « verre de rouge avec un morceau de camembert », c’est un accord très souvent désastreux alors que la majorité de nos fromages se marient à merveille avec des vins blancs.

La cuvée Léa accompagne des seiches à la plancha marinées à l’ail et au basilic.

Autre astuce : très souvent, les vins d’une région sont pensés pour les plats locaux et vice versa. Ce sont ce que je nomme les accords régionaux. Vous vous rappelez le camembert évoqué plus haut ? L’idéal finalement est de le marier avec un bon cidre de Normandie. Lorsque la belle Armelle cuisine un repas aux accents méditerranéens « seiches à la plancha marinées à l’ail et au basilic et courgettes », elle choisit tout naturellement de l’accompagner avec un vin blanc provençal, la cuvée Léa du domaine La Goujonne. Ce vin 100% Vermentino, un cépage d’origine italienne très aromatique, soutiendra les arômes puissants de l’ail et du basilic.

Les vins d’Avenir vous ont également inspiré ? N’hésitez pas à m’envoyer vos trouvailles culinaires ou à les partager sur les réseaux sociaux !

Nouvelles du front

Cela fait plus d’un mois que nous sommes confinés et nous prenons tous beaucoup de retard dans notre travail. La vigne, elle, est plutôt en avance. Le démarrage précoce du cycle végétatif a plusieurs conséquences.

Au domaine Delacroix Kerhoas, dans la partie gardoise de la Vallée du Rhône, l’exceptionnelle douceur, suivie de nuits très froides, a malheureusement provoqué des gelées dans une partie des vignes. La vigne est sensible au gel dès l’apparition des jeunes feuilles qui sont riches en eau. En cas de forte humidité, les jeunes pousses peuvent geler dès -2 à -3°C alors qu’en situation plus sèche, elles peuvent résister jusqu’à -4 voire -5°C. Ces gelées n’entraînent jamais la mort de la vigne même si elles peuvent détruire la récolte. Il est encore trop tôt pour estimer si les dégâts actuels auront des conséquences sur la récolte à venir.

Une bonne nouvelle tout de même : alors que le Sauvignon 2018 était en rupture de stock depuis octobre dernier, le domaine a mis en bouteille le millésime 2019. Plus délicieux encore, il se décline en notes de mangues fraiches, d’ananas et d’agrumes.

Pour Audrey Rouanet, au domaine Rouanet Montcélèbre, c’est la course contre l’herbe ! Les adventices, également (mal) appelées « mauvaises herbes », ne doivent pas concurrencer la vigne alors que sortent les premiers bourgeons. L’herbe est tondue puis éliminée par un travail mécanique un rang sur deux. Audrey a également entrepris de fertiliser ses sols. Elle a épandu de l’engrais organique dans les vignes de plaine et du fumier composté dans celles de coteaux. Les traitements sur les parcelles les plus précoces ne devraient pas tarder à débuter.

Plus au Nord, en Sud Vendée, les gelées ont épargné le Prieuré la Chaume. Après un hiver pluvieux, le climat est très sec. Une telle sécheresse à cette période de l’année convient particulièrement bien à la vigne. Christian Chabirand et son équipe terminent l’attachage des vignes. Cette étape du travail, indispensable, nécessite précision et dextérité. L’attachage consiste à courber la baguette, le long bois laissé sur le cep après la taille pour donner des fruits, l’enrouler et la fixer sur le fil le plus bas du palissage. Elle permet d’obtenir une croissance homogène et ordonnée sur le plan du palissage et des grappes bien réparties dans le rang.

Prochaine étape : les premiers traitements pour se prémunir des maladies dues à l’humidité comme le mildiou.

Vous l’aurez compris, les vignerons de Vins d’Avenir ne chôment pas et l’incertitude quant à la suite est leur pain quotidien … chaque année.

Benoit Locatelli, par mots et par vins

A la tête de deux enseignes à Nîmes, Benoit Locatelli fait partie des cavistes qui comptent dans le paysage viticole gardois. Lorsque j’ai fait sa connaissance, c’était pour lui vendre du vin. Du vin pourtant, dans sa cave, il n’en manque pas. Benoit court les salons, se déplace dans le vignoble et reçoit toujours les agents et grossistes avec bienveillance. Bref, Benoit est passionné. Une passion et une gentillesse peu communes qui ont dû le pousser à feuilleter mon catalogue, aiguisant alors ma curiosité.

Depuis, plusieurs dégustations m’ont fait découvrir un caviste engagé, méditerranéen « pur jus » qui parvient à conjuguer une grande habileté commerciale et une désarmante sincérité tant vis-à-vis de ses clients que de ses fournisseurs. Benoit est aussi un caviste d’une grande générosité. Amoureux des vins du Languedoc sans être sectaire, il n’hésite pas à vous faire découvrir son univers et les vignerons chers à son cœur.

C’est toujours un plaisir pour moi de partager mes trouvailles avec lui : j’ai la garantie d’un échange franc, direct et constructif.

En lui proposant de répondre à mes questions façon portrait chinois je savais que, même confiné, j’obtiendrais de sa part des réponses claires et honnêtes. A vous de juger :

Si tu étais un vin rouge ?

Un Renverse-moi de chez Fabien Reboul du château de Valflaunès au Pic-St-Loup, mais en vin de France. Parce que le vin, c’est aussi se désaltérer.

Si tu étais un vin blanc ?

Une cuvée Désirée 2015, un Sancerre de chez Vincent Gaudry. Cristallin, fin, étrange… 

Si tu étais un vin pétillant ?

Une Avizoise de chez Pascal Agrapart, en Champagne. Parce que c’est juste inoubliable et très franc.

Si tu étais un accord met et vin ?

Tajine de veau au citron confit et vin blanc.

Si tu étais un vin d’un autre pays ?

Un Liatiko 2006 de Yannis Economou, en Crète. Parce que j’ai rarement autant voyagé en restant à côté de mon verre.

Si tu étais un spiritueux ?

Un Bas-Armagnac Cask Strength de chez Dartigalongue. Ou tout fruit distillé du Sud-Ouest.

Si tu étais une appellation ou région viticole ?

Les Terrasses du Larzac, mes premières émotions.

Si tu étais un vin du Languedoc ?

Un Enclos de l’âne de chez Jean-Baptiste Sénat. Un pur grenache à rebours de ce que fait le sud d’habitude.

Si tu étais un dessert ?

Une forêt noire.

Si tu étais un fromage ?

Aucun. Je déteste ça.

Si tu étais un moment de dégustation ?

Une dégustation avec un client.

Si tu étais une recette de cuisine ?

Un curry balinais.

Si tu étais un vigneron ?

Thomas Carsin, en Anjou. Droit dans ses pompes, à l’écoute de son terroir. Immensément talentueux.

Si tu étais une spécialité de chez toi ?

La corrida. Imperfection de l’homme, mais dramaturgie géniale trop incomprise.

Si tu étais un cépage ?

Le Mourvèdre. Les pieds dans l’eau, la tête au soleil.

Hardiesse Nîmes

« Mas Guérin »

Route de Générac

30900 Nîmes

Hardiesse La Calmette

Z.A.C. du Petit Verger

30190 La Calmette

Plus bio la vie

Christophe Duplessis compte parmi les tous premiers clients de Vins d’Avenir. Nous avons lancé nos entreprises à six mois d’intervalle et échanger avec lui sur le développement du chiffre d’affaires, les hauts et les bas de nos activités respectives a souvent été très instructif pour moi.

Certes, tous les magasins bios possèdent un rayon vins. Mais peu d’entre eux font leur propre sélection, en dehors des catalogues proposés en interne par leur franchise ou par des grossistes bios généralistes. C’est le cas de La Vie Claire à Uzès grâce à Christophe Duplessis, œnophile convaincu de la première heure. Je suis donc ravie qu’il partage dans cette newsletter sa vision du bio et du vin.

Quel est ton parcours ? Comment as-tu ouvert un magasin biologique ?

J’ai longtemps travaillé dans la grande distribution et, même si j’avais la démarche de sourcer beaucoup de bio, je n’étais pas complètement en phase avec mes convictions. Le bio, ce n’est pas du business, c’est une philosophie. Et pour moi ce n’était pas cohérent de travailler pour un grand groupe et de défendre des petits producteurs.

Depuis quand es-tu convaincu par le bio ?

Cela fait plus de dix ans que je consomme bio. J’ai eu aussi une prise de conscience avec la naissance de mon troisième enfant, que j’ai eu sur le tard. Et plus j’en apprends sur l’industrie agro-alimentaire, plus je suis convaincu.

Et le vin ? Je sais, par les choix que tu fais, que tu t’y intéresses vraiment. Comment t’es venu le « goût du vin » ?

Mon père était un amateur de vin, c’est lui qui m’a initié. Puis j’ai vécu en Provence et là j’ai commencé à m’y intéresser vraiment, à aller voir des cavistes, acheter aux caveaux, etc. Sans surprise, ma madeleine de Proust, ce sont les vins d’Henri Bonnaud à Palette.

Proposer un large choix de vins, c’est aussi une stratégie commerciale car c’est différenciant. Plusieurs clients m’ont dit que j’avais une jolie sélection.

En outre, travailler avec des acteurs de la région comme Vins d’Avenir me permet de proposer des petits producteurs locaux. Si j’achète en centrale, ce n’est pas le cas.

Quel(s) vins préfères-tu ?

Je viens d’une famille où l’on boit beaucoup de blancs : une partie vit en Bourgogne, une autre en Loire. J’adore le Chablis et le Sancerre.

Dans la sélection du magasin, j’ai un faible pour les vins du domaine du Petit Roubié, toujours francs sur le plan aromatique et de supers rapports qualité / prix. En plus, le vigneron est en agriculture biologique depuis 30 ans.

Comment sont les clients des magasins bios ?

Souvent ils sont sensibles aux bons vins, ils aiment bien manger et donc bien boire. Ils connaissent très bien les labels et les dénominations, d’où l’importance d’avoir des vins certifiés AB, Nature et Progrès, Demeter etc. [si ce n’est pas votre cas, lisez à ce sujet le jargon du jaja #2].

Les consciences s’éveillent-elles au bio ?

Oh oui, c’est particulièrement flagrant en ce moment ! Les données sont nationales, ce n’est pas que dans ma boutique. Peut-être qu’une telle épidémie fait prendre conscience aux gens qu’être en bonne santé, c’est d’abord bien s’alimenter. C’est une crise sanitaire et le bio est synonyme de sécurité alimentaire. De plus, les pénuries alimentaires nous font prendre conscience de la nécessité de manger local.

Qu’est-ce qui différencie un magasin bio d’une grande surface qui vend du bio ?

Dans un magasin bio, je regarde le label mais pas seulement. Lorsque je sélectionne un fournisseur, je regarde aussi la liste des ingrédients de ses produits. On peut être en bio et ajouter tout un tas d’additifs, par exemple du sucre. Je suis également sensible au local et à l’éthique du fournisseur. En grande surface, on ne prend pas en compte tous ces facteurs.

Selon toi, quels sont les freins à un développement plus important du bio ?

Les producteurs eux-mêmes, qui ne sont pas toujours professionnalisés : ils livrent quand ils peuvent, ils ne font peu ou pas de suivi en rayon, ils ne sont pas toujours cohérents sur les marges commerciales, etc. Ce ne sont pas des commerçants. Chacun son métier, mais c’est dommage.

[Parenthèse publicitaire : d’où la nécessité d’avoir un bon grossiste qui fera l’intermédiaire 😁 ]

Quels sont tes projets ?

Pérenniser mon entreprise qui est encore toute jeune. [le magasin a ouvert il y a deux ans]. Développer encore plus les produits locaux : nous vivons dans une région extraordinaire où il y a du choix.

La recette de Philippe

Le 8 mars a eu lieu la Journée internationale des droits des femmes.

Femme évoluant dans un milieu encore très masculin, je ne peux que me sentir concernée. Je me sais également très chanceuse et privilégiée car, enfant, j’ai « bénéficié » de regards masculins- celui de mon père et de mon frère aîné- bienveillants, qui ont participé à la construction d’une image de la femme valorisante, emprunte de respect et de confiance. Ils m’ont aussi permis d’avoir une image positive des hommes, ce qui me paraît indispensable lorsqu’on évolue dans un monde encore très largement masculin.  Aujourd’hui, ce sont le soutien et les encouragements de mon mari qui ont pris le relais. Sans lui, je n’aurai jamais pu créer Vins d’Avenir tout en restant une maman épanouie. L’égalité homme – femme ne pourra advenir sans que les hommes y prennent part.

Selon Élisabeth Badinter, « un homme qui est aussi heureux quand il arrive quelque chose d’heureux à sa femme, pour moi, c’est un féministe » J’ai donc choisi de partager avec vous ce mois-ci la recette d’un « grand féministe » qui, en plus de ces innombrables qualités, est un excellent cuisiner.

Beignets d’oignons doux des Cévennes de Philippe

Ingrédients pour environ 15 beignets

  • 1 kilo d’oignons doux des Cévennes
  • Farine de pois chiche
  • Huile de tournesol
  • Sel, poivre
  1. Épluchez les oignons (et pleurez).
  2. Émincez finement les oignons dans une passoire, salez-les bien et laissez-les rendre leur eau pendant au moins une heure.
  3. Mettez les oignons dans un saladier et ajoutez de la farine de pois chiche jusqu’à l’obtention d’un mélange pâteux.
  4. Rajoutez du poivre.
  5. Faites chauffer de l’huile de tournesol (minimum 10 cm).
  6. Avec deux cuillères, formez des quenelles de pâtes et trempez les dans l’huile chaude pendant 7 à 8 minutes. Surveillez la cuisson, retournez les quenelles de temps en temps pour obtenir une couleur homogène.
  7. Sortez-les et mettez-les sur du papier absorbant.
  8. Salez et dégustez !

Pour accompagner cette recette, dont on se régale plutôt à l’apéritif, je recommande un vin avec de l’ampleur et des arômes pour soutenir le mariage avec la texture des beignets, le goût sucré des oignons doux et le parfum puissant de la farine de pois chiche. Un Chenin de Loire, riche aromatiquement mais sans gras, est parfait avec ce type de plat. La cuvée du Fief Noir, L’âme de fond, avec sa bouche ample et ces notes minérales, acidulées, ne se laissera pas « écraser » par les beignets.

En rouge, je choisirais un vin peu tannique. Restons en Languedoc pour faire un accord local. Je pense à Canon Huppé du domaine Monplézy, une cuvée fraiche et gourmande 100% Cinsault.

L’Épicerie

A l’Épicerie, en plein cœur de Nîmes, on se sent « comme à la maison » et ce depuis quatre ans. Le concept de Caroline et Bruno Licini est simple : tout ce qu’il est possible d’acheter est consommable sur place. Il s’agit de préférence de produits bios et quasi exclusivement en circuits courts. Mais l’Épicerie, ce n’est pas que cela. C’est aussi un endroit chaleureux où le mobilier semble avoir été chiné par des mains expertes, ce sont, certains soirs, des lectures de poésie, des dégustations de vins, des concerts ou encore un troc de livre.

Quand j’interroge les propriétaires sur la genèse de ce lieu magique, la réponse fuse : « L’idée a germé lorsque le fils de Caroline a acheté les murs. Il y avait ce local. Pourquoi ne pas en faire une épicerie ? Si ça ne marche pas, on mangera le stock ! ». C’était pourtant un sacré challenge que de créer une épicerie indépendante à l’heure où les supérettes des grandes enseignes pullulent dans les centres villes.

Comment avez-vous établi la sélection de produits ?

 « Ça n’a pas été difficile : nous aimons manger, alors nous avons fait des marchés et rencontré des producteurs qui sont devenus nos premiers fournisseurs. »

Aujourd’hui, l’Épicerie est devenue une belle adresse que l’on se communique entre amateurs de bonne chère et ce sont les producteurs qui viennent à Caro et Bruno pour être référencés sur leurs étagères.

Et le vin, là-dedans ? Sur les rayons, beaucoup de quilles bios, nature, que du local qu’ils achètent pour beaucoup en direct. Et pour le reste ? Ils font confiance à Vins d’Avenir, avec une préférence pour les jus « gourmands, ronds et peu tanniques ».

Le duo semble collaborer en parfaite osmose. Ce n’est pas compliqué de travailler en couple ?

« Franchement ? Non. » me répond Caroline. « Bruno est calme alors que moi je suis plus speed. Et puis, lorsque l’on parle de l’Épicerie sur notre temps libre, on n’a pas vraiment l’impression de travailler. Nos fournisseurs sont devenus des copains.  La vraie difficulté, c’est le nombre d’heures. Nous sommes ouverts du mardi au samedi de 9H30 le matin jusqu’à 23h le soir. C’est assez fatiguant comme rythme. »

Vos enfants partagent-ils vos convictions sur la malbouffe ?

« Oui ! Même si lorsqu’ils étaient plus jeunes ce n’était pas le cas, aujourd’hui les frigos de nos garçons sont remplis de produits bios. Quant à notre dernière c’est une ado donc, comme tous les ados, elle est contre tout ce qu’on fait ! »

Un coup de cœur respectif ?

Pour Caroline ce sera Amélie Clavier, qui produit une liqueur de verveine. « C’est un ange. Et elle est la seule productrice qui démarre de la culture de la plante pour aller jusqu’à la mise en bouteille. » Le choix de Bruno se porte sur Sylvain Petit, un producteur de vinaigre et moutardier.

« Tous deux sont des passionnés. Les logiques économiques n’ont pas de prise sur ces gens-là. Amélie ramasse les plantes quand elle « sent » que c’est le bon moment tandis que Sylvain a mis trois ans a élaboré sa meule. »

Enfin, et c’est sans doute ce qui me rend Caroline et Bruno si attachants, ils travaillent en parfaite confiance avec les producteurs. Les fournisseurs ardéchois ont par exemple la clef de la maison que le couple possède dans la région et qu’ils y déposent leur commande en leur absence.

Dans un monde toujours plus individualiste et qui invite à la méfiance, les « petits » commerces comme l’Épicerie sont aussi précieux pour l’estomac que pour l’âme.

L’épicerie, 14 rue de l’Agau, 30 000 Nîmes

Vignerons créatifs

Chaque année, fin janvier, a lieu à Montpellier Millésime Bio, la grande messe des vins bio. Il s’agit d’un salon professionnel qui met en contact des centaines de vignerons, de France et d’ailleurs, tous certifiés en agriculture biologique, avec des importateurs, des agents, des grossistes, des cavistes ou encore des sommeliers. J’y ai d’abord participé en tant qu’exposante et je m’y rends maintenant comme visiteuse. C’est l’occasion de découvrir des domaines qui pourraient intégrer la sélection et de rencontrer tous les producteurs avec qui je travaille déjà. Nous échangeons sur l’année écoulée, je goûte les vins du dernier millésime et les nouveautés quand il en existe. Et cette année les vignerons de la sélection Vins d’Avenir ont été créatifs !

Paul Riéflé, du domaine éponyme, nous a présenté son crémant Brut Alpha, un deuxième pétillant dans la gamme. Les bouteilles ont été dégorgées en 2018 après quatre ans de vieillissement sur lattes. L’assemblage, la méthode de vinification comme l’esthétique de la bouteille empruntent aux codes du Champagne (pour connaître la différence entre les types de bulles, je vous renvoie à l’article de Léa Desportes). La bouche est ample, assez vineuse.

Autre nouveauté : un vin orange, le Sacré Loustic, qui porte bien nom. Les baies de très jeunes vignes de Gewurztraminer ont été laissées macérées pendant trois semaines. Ce contact prolongé entre la pellicule et le moût de raisins, habituellement évité pour la vinification en blanc, confère aux jus de la couleur, des arômes et de la matière. Sacré Loustic, vin nature non filtré (là encore, allez lire les explications de Léa), offre un nez très atypique de clou de girofle, de poivre, de cumin. Voici un vin qui nous fait voyager, ses notes de curry et de gingembre confit appellent à des accords lointains, pourquoi pas du côté de l’Inde.

Au domaine Wilfried, ce sont également deux nouvelles cuvées qui ont vu le jour. Les paradis perdus, c’est une parcelle rayée des cartes lorsque l’appellation Cairanne est née en 2016. Décision injuste et incompréhensible selon les vignerons Réjane et Wilfried Pouzoulas, qui ont décidé de vinifier à part ces vieilles vignes de Grenache plantées sur un sol argilo-calcaire. Le résultat est une cuvée parcellaire tout en légèreté et en finesse. Le vin s’ouvre sur des notes de pivoine puis déroule des notes de baies, de groseille et d’épices. 2018 est déjà en rupture mais le paradis mérite sans doute un peu de patience … La sœur et le frère, qui ne sont pas oisifs,ont également élaboré un rosé en Vin de France, Le courage des oiseaux.

Direction le Languedoc et le domaine Rouanet Moncélèbre. Audrey Rouanet, agacée de devoir sacrifier ces jolis Cinsault à une mode qui réclame des rosés de plus en plus pales et insipides, a décidé de garder ces raisins pour produire un monocépage rouge en vin de Pays. On chante à nouveau avec ce rafraichissant Se Canta 100% Cinsault et on crie « vivement l’été ! ».

Il n’a pas pu venir au salon mais il n’a pas chômé non plus, Sylvain Badel. Si le vin, une des références de la sélection avec ses Saint-Joseph rouges, propose cette année une cuvée de l’appellation nord-rhodanienne … en blanc ! Les volumes sont ultra confidentiels et il n’y en aura pas pour tout le monde. Je n’ai pas encore gouté mais il y a fort à parier que nous ne serons pas déçus. Je vous en parle dès que ce sera fait.

Enfin, le Château Cohola se lance avec brio dans l’aventure des vins sans soufre. Et pour satisfaire tout le monde, ils ont élaboré un rouge et un blanc. J’ai été particulièrement impressionnée par leur Sablet blanc, produire des vins nature dans cette couleur étant un exercice périlleux. Le talent de vinificateur de Jérôme Busato a fait naître une cuvée aux arômes complexes de brioche et de safran qui offre une très belle longueur en bouche. En rouge, la micro cuvée 100% Syrah a été vinifiée en amphores. A l’ouverture les marqueurs du cépage sont bien présents : des notes animales, d’abord, puis des arômes de violette et de poivre blanc.

Véro & Mo, une amitié à Bordeaux

Monique Bonnet et Véronique Barthe au salon Millésime Bio, janvier 2020

Monique Bonnet du Château Suau et Véronique Barthe du Château d’Arcole sont les deux représentantes de la région bordelaise de la sélection Vins d’Avenir. Elles sont aussi des soutiens sans faille depuis l’origine de l’aventure. J’ai d’abord rencontré Monique au cours d’un voyage rocambolesque en Chine, il y a quelques années. Elle est tout de suite devenue plus qu’une amie, un guide, un modèle. Elle m’a très vite présenté son amie Véronique, qui a eu à mon égard- avant même de me connaître- la même bienveillance.

La première est une Bordelaise d’adoption, devenue vigneronne à plus de 30 ans. La seconde est issue d’une famille de vignerons depuis de nombreuses générations. A la fois extrêmement proches et très différentes, ce sont pour moi des femmes inspirantes, par leur travail, leur joie de vivre mais aussi l’amitié pure qu’elles entretiennent depuis de nombreuses années. J’ai donc voulu dresser un portrait croisé de ces deux femmes. Je pensais vivre un moment léger, joyeux, à devoir pousser un peu ces deux pudiques à se livrer. Je ne m’attendais pas du tout à passer aussi vite du rire aux larmes et à apprendre autant en l’espace d’une petite heure sur l’amitié, la dignité et l’espoir.

Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Véronique Barthe : Un point commun entre nous, c’est que nous n’avons de mémoire ni l’une ni l’autre (rires). Je dirais à la fin des années 1980, lors d’un salon des vignerons indépendants à Bordeaux.

Qu’est-ce qui vous a rapproché ?

Véronique Barthe : On était toutes les deux toutes seules à gérer nos propriétés de A à Z, cela nous a beaucoup rapproché.  Nous avons créé ensemble « L’envers de Bordeaux », un groupe de vignerons/copains qui pensaient qu’il vaut mieux chasser en meute que seul. Cela donne de la force d’être à plusieurs. Nous avons ensuite intégré ensemble les Aliénor du Vin de Bordeaux, un groupement de vigneronnes bordelaises qui existe aujourd’hui encore.

Monique Bonnet : Nous sommes devenues amies au bout de quelques années. Nous avons pris l’habitude de partager beaucoup de choses. On échange des clients, on mutualise le transport, on partage les stands. On s’aide tout le temps.

VB : On partage aussi le goût des bonnes choses, de la bonne chère… Tout en étant nous-même de piètres cuisinières (rires).

Comment décririez-vous la vigneronne et les vins qu’elle produit ?

VB : C’est une femme complète qui s’intéresse à tout. Dans ses vins, elle recherche l’expression du fruit, plus encore depuis que le domaine est converti en agriculture biologique. Elle a une gamme large, on ne peut pas ne pas trouver son bonheur dans les vins produits par Monique. En outre, je trouve qu’il y a un beau travail sur les étiquettes.

MB : Je suis assez admirative de la façon dont travaille Véronique. C’est une « dilettante bosseuse ». Elle est toujours cool, jamais « bileuse », mais tout est toujours fait en temps et en heure. Quant à ses vins, elle sait exactement où elle va et, avec Château d’Arcole, elle produit un travail d’orfèvre

Quelle est la plus grande qualité de l’autre ?

VB : C’est une femme d’une extrême générosité et c’est quelqu’un d’entier. Cela me plait beaucoup chez elle.

MB : C’est un rayon de soleil. Un optimisme à tout épreuve. Sa pêche est une leçon. Elle relativise tout. C’est une chance de l’avoir. Je comprends pourquoi elle a autant d’amis.

Son plus grand défaut ?

….

Alors que je les interroge séparément sur les défauts de l’autre, je ne parviens pas davantage à obtenir de réponse. « Laisse-moi réfléchir », « Là, ça ne me vient pas » Peut-être est-ce cela, la véritable amitié :  on aime aussi les défauts de l’autre ?

Une région viticole coup de cœur hors du Bordelais ?

D’une seule et même voix : les vins de la vallée du Rhône septentrional, les rouges surtout : Saint-Joseph, Crozes-Hermitage, Côte Rôtie, etc.

Que pensez-vous du « Bordeaux bashing », véritable désamour pour le vignoble, sous le feu des critiques pour être trop cher, trop boisé, trop pollué, etc. ?

VB : Les gens associent Bordeaux aux grands crus, des vins chers et très boisés. Or l’immense majorité des vins de Bordeaux, ce n’est pas cela. Nos vins à toutes les deux le prouvent.

MB : Pendant des années, Bordeaux a été la locomotive des exportations de vins français dans le monde. Aujourd’hui, avec la mondialisation, les Chinois produisent autant de vins que les Français et il faut partager le marché.

VB : Bordeaux n’arrive pas à capter une clientèle jeune. J’ai espoir que cela change mais c’est long et c’est à nous, les professionnel-le-s du vin, de faire de la pédagogie.

Un grand moment de dégustation ?

MB : Un jour, Véronique m’annonce qu’elle a une grosseur suspecte. Je monte tout de suite sur mes grands chevaux. « Ah non, toi, tu ne peux pas être malade ! »  Avec la malice qu’on lui connait, Véro me répond, mutine : « Qu’est-ce qu’on parie ? ».

– « Écoute, si tu es malade, je t’offre la plus belle dégustation de ta vie ! »

Quelques semaines plus tard, Véro me rappelle et, très sereinement, m’annonce au téléphone : « Ma chère, j’ai le plaisir de t’annoncer que tu me dois une dégustation ».

Voilà Véro : optimisme à toutes épreuves mais aussi classe, dignité et courage. Véro a guéri. J’ai donc organisé la fameuse dégustation. Les bouteilles ont valsé, du Bordeaux, principalement Saint-Julien, Pauillac, mais aussi des grands Champagnes. Nous avions quelque chose à fêter…

La taille au domaine de la Porte Rouge

Gabriel et Bernard Friedman

La vigne est une liane qui, naturellement, se développe, s’allonge et se raméfie. Il faut donc la tailler pour que la production de fruits l’emporte sur celle des bois. La taille représente la principale tâche du vigneron durant les mois d’hiver, lorsque la vigne est en repos végétatif. Il s’agit d’un travail rude, qui nécessite de passer de longues heures accroupi ou penché dans le froid. C’est aussi un exercice très complexe, qui mélange réflexion et intuition. D’autant que les enjeux sont « de taille » : la conduite de la vigne détermine la quantité et la qualité de la récolte à venir et, en contrôlant la vigueur de la plante, impacte la pérennité des souches.

Si les vignerons continuent à se référer au vieux proverbe « taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de mars », dans les faits, la surface du vignoble décide du début des premiers coups de sécateurs. Pour tailler la trentaine d’hectares du domaine Monplézy, dans Le Languedoc, Anne Sutra de Germa est obligée de démarrer tôt. Pour tailler ses 3,5 hectares de Châteauneuf-du-Pape, Bernard Friedmann peut se permettre d’attendre que les températures se radoucissent. Car une météo plus clémente signifie que la sève, qui descend lorsque la vigne est en dormance, remonte dans les bois. Lorsque l’on la taille, la vigne « pleure » : elle laisse couler de la sève qui agit comme un baume protecteur sur la plaie et une barrière contre les champignons à l’origine des maladies du bois.

Il existe plusieurs types de taille. Celle qui est pratiquée à Châteauneuf-du-Pape est dite « en gobelet ». Le cep est taillé en cinq bras qui forment comme un bol :

Cep de Grenache taillé en gobelet.

« C’est une taille spécifiquement adaptée au Grenache, cépage buissonneux dont les rameaux retombent sur le sol » m’explique Bernard Friedmann. Il ajoute : « cette taille offre un meilleur ensoleillement et permet un passage de l’air optimale. C’est une taille courte adaptée aux vents violents. En outre, les fruits sont protégés sous le végétal des rayons ardents du soleil provençal. » Cette taille noble est contraignante : les vignes ne peuvent pas être palissées (c’est-à-dire relevées entre deux fils) et elles doivent être récoltées à la main. Ses Syrah sont taillées en Guyot, une taille répandue dans de nombreux vignobles qui permet de palisser la vigne, ce qui rend possible de mécaniser certains travaux.

Cep de Syrah taillé en Guyot.

Bernard Friedmann est un vigneron exigeant et méticuleux. Quand la plupart de ses collègues taillent avec des sécateurs électriques, lui préfère toujours la cisaille. Il défend son choix : « La lame de la cisaille est arrondie et peut épouser complétement la plante. Elle n’écrase pas la fibre du bois et détériore moins les vaisseaux qui permettent à la sève de monter dans la plante. C’est moins dangereux : impossible de se couper avec une cisaille. C’est plus économique aussi : alors que les sécateurs tombent en panne, une cisaille, c’est increvable ! ». Lorsque j’objecte que c’est probablement plus physique, Bernard me répond, amusé : « Certes, mais comme d’ici quelques années j’imagine qu’on nous dira que les boitiers de nos sécateurs électriques accrochés toute la journée à la ceinture sont nocifs, alors… ».

En matière de taille, il existe la théorie et la pratique. Chaque pied est différent et nécessite de s’adapter. Il existe également autant de méthode de taille que de tailleurs. Le vigneron de Châteauneuf reconnaît bien volontiers qu’il préfère de plus en plus déléguer ce travail difficile à un de ces employés particulièrement doué. Un aveu qui n’est pas monnaie courante dans le monde du vin …