Le juste prix

Il y a quelques années, lors d’un dîner avec des amis vignerons je leur ai demandé jusqu’à combien ils seraient prêt à payer pour une bouteille de vin. Je fus surprise de constater que le prix le plus élevé étaient 45-50€. J’imaginais plus. Je dois dire que cette discussion m’a énormément marqué.

Cette anecdote illustre à elle seule combien le prix du vin est un sujet vaste et polémique, que je ne saurai aborder dans son entièreté en quelques lignes. Pour autant, il me semble avoir semé au fil des ces newsletter les graines qui vous permettront d’être mieux armés pour comprendre le prix juste. Cet article se veut être un pense bête pour vous permettre au moment de l’acte d’achat de vous poser les bonnes questions.

Il existe de nombreux facteurs qui influent sur le prix du vin. En voici donc quelques uns :

  • L’environnement dans lequel évolue le vigneron est un premier élément. La taille du vignoble qui permet de faire des économies d’échelles, son accessibilité ( mécanisable ou non). On comprend aisément que des vins des coteaux escarpés de l’appellation Saint Joseph soit plus difficile à travailler que des vignes en plaines du sud de la Vallée du Rhône. Le prix du foncier a une incidence notoire sur l’appellation, et si la zone géographique est très limitée elle peut faire l’objet d’une forte spéculation. C’est ce qui se passe en Bourgogne.
  • Les pratiques culturales vont avoir un impact direct sur le prix du vin. Le choix des cépages (productif ou non) tardif ou non, fragile ou non, riche en jus etc. Le type de taille, la taille en gobelet par exemple n’est pas mécanisable et demande un travail humain important.
    Le degrés de mécanisation du vignoble, pour les traitement mais aussi pour les vendanges. La main d’œuvre humaine plus précise coûtent plus cher. Pratiquer une agriculture biologique ou biodynamique coûte en moyenne 30% de plus au vigneron qu’une agriculture conventionnelle. Cela impacte forcément le prix final du vin.
  • L’effet millésime et avec lui les rendements produits. Une année où il a gelé comme en 2021 a vu les prix beaucoup augmenter. Les vignerons pour rentrer dans leurs frais ont dû augmenter le prix de leur bouteilles . Pour certains c’est une question de survie pour d’autres un effet d’aubaine.
  • En cave aussi les choix du vignerons ont une incidence sur le prix. Par exemple, plus le vigneron a de cuves plus il pourra proposer une lecture fine de son terroir et des ses parcelles mais plus c’est coûteux en investissement. Les contenants et la durée de l’élevage auront également une incidence sur le prix du vin. Un fût de chêne neuf coûte cher et doit être renouvelé régulièrement.
    En outre un vin qui est mis sur le marché six mois après les vendanges coûte moins cher qu’un vin que l’on élève 18 mois en cave.
  • Les matières sèches choisies: le verre, le bouchon, le papier, le carton peuvent varier considérablement en fonction du rendu choisi. C’est d’ailleurs souvent un indicateur. Bouchon en liège et carton plat souvent réservés à des vins plutôt haut de gamme.
  • Enfin, les canaux de distribution choisis ont également leur importance. Dans notre jargon il y a le réseau traditionnel (caviste, restaurant, agent, et vignerons) et le réseau GMS grande et moyenne surface ( les supermarchés). Il faut du vin pour tous bien sûr, mais l’immense majorité des vins vendus en supermarché sont des vins vendus à bas prix produits par de très grosses entreprises (négociants ou caves coopératives essentiellement). Le supermarché pratique des plus faibles marges et misent sur les volumes pour gagner sa vie. A l’inverse, le réseau traditionnel fait travailler l’économie d’une filière avec beaucoup de petits acteurs indépendants, cavistes, restaurateurs, agents, grossiste pour qui le prix n’est pas le seul critère.

On dit souvent qu’on vote avec sa carte bancaire. Alors votez bien!

En finir avec le « Bordeaux bashing »

« J’aime tout sauf les bordeaux ! » Combien de fois ai-je entendu cette triste phrase . Le bordeaux bashing ne date pas d’hier, depuis que je travaille dans le vin, les vins de Bordeaux sont boudés par les consommateurs français. Pourtant, il me semble que les choses sont en train de changer. Peut être le résultat des efforts des vignerons bordelais pour moderniser et dynamiser l’image de leur vignoble. J’aimerais revenir sur ce phénomène qui me semble fou et injuste, et tordre le cou à ces a-prioris en quelques questions

Les vins de Bordeaux sont-ils trop chers ? VRAI ET FAUX (mais surtout faux)

Cette représentation n’est pas sans fondement. Dans les années 2000 les prix de certains grands vins à Bordeaux se sont envolés. La forte demande asiatique a créé une grande inflation et certains domaines n’ont pas été raisonnables. Ils en payent aujourd’hui le prix. Pour autant, il existe des rapports qualité prix incroyables à Bordeaux. C’est le cas du blanc sec du Château Suau à Cadillac, assemblage de 80% sauvignon blanc, avec 20% de sémillon . Un vin blanc plein de pep’s, aromatique et salivant. Vendu moins de 10€ chez un caviste. Idem pour les cuvées Eos du Moulin de Rioucreux porté par Guillaume Guerin en Blaye côtes de Bordeaux, tant en vin rouge, qu’en vin blanc. Des vins souples , faciles d’accès, avec de très jolies étiquettes, ce qui ne gâche rien. En outre, ces deux domaines sont en agriculture biologique.

Les vins de Bordeaux sont (trop) tanniques ? FAUX

Certains grands vins de Bordeaux sont taillés pour la garde. Une garde longue parfois plus de 20 ans. C’est un savoir faire exceptionnel des vignerons français qu’on ne peut balayer d’un revers de la main. Pour qu’un vin puisse tenir dans le temps il est nécessaire qu’il ait une structure solide . En revanche, il existe aussi des vins ronds et gourmands à Bordeaux. Le merlot, le cabernet franc permettent d’avoir des vins pleins de buvabilité. Il existe aussi des vigneron-(nes) capables de produire des vins équilibrés. C’est le cas de la pétillante Véronique Barthe qui produit au Château d’Arcole un Saint Emilion grand cru (en biodynamie s’il vous plait) velouté et plein. Très agréable en l’état mais qui laisse présager aussi un long potentiel de garde. J’ai récemment ouvert un magnum de 2010 et autant vous dire que j’ai pris une petite claque.

Les bordeaux sont trop standardisés? FAUX

Là encore il me semble qu’il s’agit d’un faux procès issu de représentations et non de la réalité.
J’aimerais vous raconter une anecdote à ce sujet. Lorsque je donnais des cours de dégustation à des sommeliers-cavistes nous avons fait une dégustation de vins de bordeaux et les qualificatifs des élèves me semblaient assez sévères. « herbacé » « végétal » « trop tannique » etc. Malgré mes efforts pour essayer de les faire sortir de leurs a-priori , je me heurtais à un mur. En fin de formation, j’ai organisé plusieurs dégustations à l’aveugle dans lesquelles j’ai glissé quelques bouteilles de Bordeaux … Et le miracle se produisit les vins de Bordeaux se révélaient « gourmands » « fluides » « frais ».

Les vignerons Bordelais ne sont pas sensibles à l’agriculture biologique? VRAI et FAUX

Jusqu’à peu le vignoble bordelais était effectivement à la traîne face à des régions comme le Languedoc ou la Vallée du Rhône. Aujourd’hui ce n’est plus le cas et les Bordelais se convertissent massivement. Le département de la Gironde est celui où l’on trouve le plus de vignoble en bio et en conversion. De nombreux domaines se sont tournés vers l’agriculture biologique même si le démarrage à Bordeaux a peut être était plus long . On peut tout de même noter que l’humidité d’une région océanique comme le Bordelais rend la conversion à l’agriculture biologique plus difficile

AOP pour le meilleur et pour le pire

Côtes du Rhône, Pic Saint Loup, Châteauneuf du pape, Champagne… Toutes ces dénominations dans le vin sont des appellations d’origines contrôlées, elles sont censées permettre au consommateur  de s’y retrouver tant sur l’origine du vin que sur un certain niveau de qualité attendu. Les AOP sont définis par un cahier des charges, sorte de règlement de l’appellation. Le cahier des charges définis des éléments tels que la couleur autorisé, les cépages, la taille, les rendements ou encore les méthode de vinification. Si les appellations ce sont parfois révélées trop rigides et mal adaptées aux évolutions viticoles elles permettent néanmoins de comprendre les origines des régions de production.  Il est particulièrement intéressant d’apprendre à décrypter le cahier des charges des appellations, cela permet de comprendre (ou pas) le bien fondé du prix d’un vin par exemple. Ce mois-ci  j’ai choisi les quatre appellations citées plus haut à titre d’exemple. Certaines informations dans un cahier des charges sont très techniques mais d’autres simples permettent de comprendre rapidement les données clefs d’une appellation. Nous nous attacherons aux indications suivantes.

La Couleur

En appellation Pic Saint Loup seul les vins rouge et rosés sont autorisés , le vin blanc est interdit , en Champagne c’est le vin rouge qui est interdit et en Châteauneuf du pape seuls les vins blancs et rouges ont droit de cités. Enfin , en Côtes du Rhône, les trois couleurs sont bel et bien autorisées

Lieu de production

Dans un cahier des charges sont citées une par une toutes les communes qui peuvent prétendre à l’appellation. Une distinction est toujours apportée entre l’aire où les raisins sont récoltés et l’aire où les raisins sont vinifiés. En général dans l’aire de vinification s’ajoutent quelques communes.

Là encore les différences entre les appellations sont édifiantes. Tandis que l’appellation côtes du Rhône s’étend sur 6 départements et près de 1800 communes. L’appellation Pic- Saint-Loup, elle ne couvre que 2 départements et seulement 17 communes. Quant à l’appellation Chateauneuf du Pape elle court uniquement dans le Vaucluse et couvre seulement cinq communes. Enfin l’appellation Champagne couvre la Marne ,l’Aube, l’Aisne,la Haute-Marne,la Seine-et-Marne et près de 300 communes

Les cépages autorisés

Souvent dans un cahier des charges sont précisés les cépages principaux et les cépages accessoires.

Comme ici en Pic Saint Loup : Les vins rouges sont issus des cépages suivants:
Cépages principaux : syrah N, grenache N, mourvèdre N.
Cépages accessoires : cinsaut N, carignan N, counoise N, morrastel N.
Les vins rosés sont issus des cépages suivants :
Cépages principaux : syrah N, grenache N, mourvèdre N.
Cépages accessoires : cinsaut N, counoise N, morrastel N, gr

Mais ce n’est pas toujours le cas. Exemple en Champagne « Les vins sont issus exclusivement des cépages arbane B, chardonnay B, meunier N, petit meslier B,
pinot blanc B, pinot gris G et pinot noir N. Six cépages au total mais 75% du temps ce sont des champagnes de chardonnay et de pinot noir que nous buvons.

Idem à Châteauneuf, (qui a fondé sa réputation sur le mariage parfait entre grenache noir et galets roulés) autorise pourtant dix huit cépages dans l’appellation : « Les vins rouges et blancs sont issus des cépages suivants : bourboulenc B, brun argenté N (localement dénommé « vaccarèse »), cinsaut N, clairette B, clairette rose Rs, counoise N, grenache blanc B, grenache gris G, grenache N, mourvèdre N, muscardin N, picardan B, piquepoul blanc B, piquepoul gris G, piquepoul noir N, roussanne B, syrah N, terret noir N

Enfin en Côtes du Rhône bien que la liste autorisent au total 31 cépages différents, il est bien dommage de constater que ce sont seulement huit à dix cépages qui reviennent en permanence dans les assemblages.

Les vins blancs sont issus des cépages suivants : cépages principaux : bourboulenc B, clairette B, grenache blanc B, marsanne B, roussanne B, viognier B ;

cépages accessoires : piquepoul blanc B, ugni blanc B.
– Les vins rouges et rosés sont issus des cépages suivants : cépage principaux : grenache N ; mourvèdre N, syrah N ;

cépages accessoires : bourboulenc B, brun argenté N (localement dénommé camarèse ou vaccarèse), caladoc N, carignan N, cinsaut N, clairette B, clairette rose Rs, counoise N, couston N, grenache blanc B, grenache gris G, marsanne B, marselan N, muscardin N, piquepoul blanc B, piquepoul noir N, roussanne B, terret noir N, ugni blanc B, viognier B.

Les Rendements

A mon sens c’est une information de taille qui donne des indications concrètes sur la concentration des raisins dans le vin de l’appellation et qui devrait avoir une incidence direct sur le coût de production du vin et donc sur le prix final. Les rendements dans un cahier des charges sont exprimés en hectolitre/hectares ou en poids de raisin à l’hectare. (Dans ce cas il faudra convertir ce poids en hectolitre pour un rendement en hectolitre/ hectare. Globalement il faut environ 120 kg de raisins pour obtenir un hectolitre.)

Ainsi en Côtes du Rhône la charge maximale est de 9500 kilos/hectare soit 79 hecto/hectare. Alors qu’en Chateauneuf les rendements maximum autorisés sont de 35 hectolitre hectares. On comprend donc aisément les différences de prix.

En Pic-Saint-Loup les rendements sont de 37 à 60 hecto /hectares et en Champagne alors que l’on pourrait imaginer des rendements plus faible, les rendements sont énormes de près de 100 hecto/hectares. Là en revanche le prix final des Champagnes peut questionner.

Les vendanges

Manuelle ou à la machine cette indication est très importante et permettra de comprendre tout de suite si l’appellation compte plutôt des petites exploitations ou de grandes. Cette information a également une importance clef sur le prix de revient du vin. Les vendanges manuelles sont beaucoup plus couteuses que le passage d’une machine. A Châteauneuf la récolte est exclusivement manuelle, pour les trois autres appellations il n’y a pas d’obligations. En champagne toutefois la récolte doit être en grappe entière.

Le degrés d’alcool

Dans chaque cahier des charges le taux d’alcool minimum est défini. Il est en général autour de 12°

En Pic- Saint Loup c’est 12° minimum,

En Châteauneuf du Pape 12,5°

En Côtes du Rhône une distinction est faite entre les Côtes du Rhône septentrionales et méridionales: 11 °, pour les exploitations situées au sud du parallèle de Montélimar (Drôme)

10,5°, pour les exploitations situées au nord du parallèle de Montélimar (Drôme). E

Enfin en Champagne, le taux d’alcool minimum est de 9°. La Champagne est située bien plus au nord que les trois autres appellations, cela pourrait expliquer cette différence. Cependant à 9° peu de vins sont à maturité…

Il existe encore beaucoup d’informations très pertinentes dans les cahiers des charges, comme le taux de sucre dans le vin, la taille, l’élevage etc. Soyez donc curieux.

Bibliographie

https://extranet.inao.gouv.fr/fichier/PNOCDCAOC-Champagne-20190619.pdf

https://www.oivr84.com/telechargements/referentiel/CDC_cotes_du_Rhone.pdf

https://info.agriculture.gouv.fr/gedei/site/bo-agri/document_administratif-1d1f1fc9-e5ee-45ac-b605-f56432d2c0b6/telechargement

https://www.inao.gouv.fr/var/inao_site/storage/repository/editeur/files/pdf/CDC-AOP/AOC%20Ch%C3%A2teaneuf-du-Pape_20111116.pdf

Les vins oranges en cinq questions

 A l’heure où vous lirez ces lignes se tient Millésime bio 2023, le grand salon professionnel des vins bios. Depuis quelques années déjà, la grande tendance sur les stands de vignerons, ce sont les vins oranges. Si ce n’est pas déjà le cas, vous verrez d’ici peu les magasins de vos cavistes se garnirent de ces vins un peu spéciaux, a mi-chemin entre vin rouge et vin blanc. Voici donc cinq questions pour comprendre cette nouvelle technique.

1) Un vin orange qu’est ce que c’est ? 

Un vin orange est un vin produit avec des raisins blancs mais vinifié comme un vin rouge. Dans le processus de fabrication des vins rouges on fait macérer les peaux avec le jus du raisin, pour lui apporter la couleur mais aussi les tannins et des précurseurs d’arômes. Pour obtenir un vin blanc on sépare le jus, des peaux. Pour obtenir un vin orange il s’agit donc d’une macération des peaux du raisin avec le jus . Cette macération peut durer de quelques jours à quelques semaines selon le profil choisi

2) Peut-on faire du vin orange avec tous les vins ? 

Vous l’aurez compris , on ne peut faire un vin orange qu’avec des raisins à peaux blanches. Pour ce qui est du type de cépage préconisé , c’est une décision de vigneron. Par exemple, Benoit Gil au domaine Monplezy à choisi le cépage vermentino, un cépage à la peau fine qui produira un vin orange délicat aux arômes subtils. Tandis que Paul Riefle en Alsace à choisi une macération de gewurztraminer, cépage extrêmement aromatique dont la vinification renforcera les arômes et apportera des notes intenses d’écorces d’oranges et d’épices douces.

3) Pourquoi c’est souvent cher ?

A mon sens, il n’y a aucune raison a ce qu’un vin orange soit plus cher que le reste de la gamme, ce n’est ni une rareté, ni une prouesse technique. Ce qui peut faire monter les couts de production ce sont éventuellement les contenants utilisés pour le produire et la durée de l’élevage. Renseignez vous bien sur le mode de production.

4)  Est ce que c’est bon ?

C’est subjectif et cela dépend de nombreux facteurs, quoiqu’il en soit les vins oranges proposent souvent un registre aromatiques assez large et plutôt atypique. Cela peut être déroutant pour les non initiés. Mais si c’est bien fait c’est excellent. Régulièrement je retrouve dans ces vins des notes d’agrumes et un peu d’amertume . J’apprécie l’amertume dans les vins quand elle est justement dosée, cela donne allonge, fraicheur et élégance. C’est le cas de la cuvée Contact en 100% chenin du Fief Noir qui me semble particulièrement réussie.

5) Quels accords mets et vins ?

A mes yeux les vins oranges sont typiquement des vins de sommeliers car l’on peut faire des accords très intéressants avec, mais ce sont des vins tanniques aux arômes intenses il faut un plat qui puisse soutenir le vin . La cuisine indienne assez relevée en épices par exemple pourra être un match parfait.