Ce que l’on considère comme nos préférences alimentaires est en fait le fruit de notre éducation, notre culture et notre environnement . Dans le vin comme ailleurs, il existe aussi des modes qui participent grandement à forger nos choix.
Pour autant, de vrais différences de goûts persistent entre les êtres humains. Et c’est mieux ainsi. Depuis mon déménagement du Gard vers l’Aveyron j’ai été particulièrement surprise de constater que deux départements limitrophes, si proches, pouvaient présenter des profils de consommateurs si différents. C’est pourquoi ce mois-ci, j’ai mené l’enquête pour trouver des explications à ces spécificités gustatives.
Alors qu’a Nîmes ou Avignon les vins blancs ne cessent de gagner du terrain, dans l’Aveyron, les vins rouges ont encore la part belle «Cela change, il y a dix ans on vendait, 80% de vins rouges et 20% de vins blancs, aujourd’hui, je dirais que la répartition est plutôt 65% de rouge et 35% de blancs » m’explique Didier Vieillescazes, caviste aux Saveurs des vignes à Bozouls. Si je compare avec mes ventes de vins dans le Gard c’est effectivement plus contrasté que pour Didier.
A Nîmes, Uzès ou Avignon, même si les vins les plus demandés sont encore les vins du Languedoc et de la Vallée du Rhône, la demande s’oriente de plus en vers des vins plus légers, plus faciles à boire, pour l’apéritif ou pour l’été notamment. Les vins plus riches, plus tanniques sont de plus en plus réservés aux belles occasions et pour un accord mets et vins spécifique avec des plats mijotés ou des gibiers.
Certains esprits chagrins diront que c’est une mode. Les vins glouglous sont venus de Paris et ne sont pas encore arrivés en Aveyron, terre rurale et reculée. Effectivement, les vins rouges dits légers, fluides sont une tendance récente très connexe de la mode des vins dits natures. En effet, les vins sans ou avec très peu d’ intrants, sont pour la plupart des vins destinés à une consommation rapide. L’inverse donc des vins de garde structurés et tanniques. Pour autant cette explication me semble insuffisante et légèrement méprisante. Et puis n’oublions pas que les bistrotiers parisiens sont finalement pour beaucoup des Aveyronnais partis à la conquête de la capitale !
Pour Florian Falguières, caviste aux Vins Falguières, à Rodez, cela s’explique par le climat « Dans le Midi, les températures connaissent des augmentations spectaculaires, les gens ont donc envie de plus de vins rafraichissants ». Effectivement, le climat aveyronnais reste plus rude et lorsqu’il fait froid, on se tourne vers des vins plus chauds.
En effet les Aveyronnais(es) recherchent des vins plus riches, plus denses. J’ai été épaté de voir que lors de dégustations professionnelles, pour préparer les cartes d’été des restaurants, les clients préféraient tous des vins rouges avec de la concentration. Pire les vins plus frais, légers, ne sont pas seulement moins consommés mais carrément jugés moins bons. Pour Didier l’explication se situe aussi au niveau des habitudes alimentaires « Nous sommes un pays d’éleveurs, ici nous mangeons beaucoup de viande et pour l’accompagner ce sont des vins rouges puissants. Cela s’est ancré dans nos habitudes alimentaires et donc de consommation. »
Pour Léa Desportes formatrice de la très pointue Ecole des Sens https://lecoledessens.fr/ même son de cloche qui l’explique scientifiquement « Un des facteurs à l’origine du goût prononcé des Aveyronnais.e.s pour les vins rouges très tanniques est à chercher du côté de l’assiette. La cuisine riche de la région, particulièrement les plats de viande, fait bon ménage avec ce type de vin. En effet, les tannins sont des composés végétaux, aussi appelés polyphénols, qui ont la capacité de précipiter les protéines de la salive. Ce phénomène provoque en bouche une sensation de rugosité. Alternée avec l’ingestion d’un mets gras, cette astringence supprime l’impression de lubrification laissée par le gras dans la bouche, tel un « nettoyeur de palais .Il ne faut jamais oublier que le précieux nectar est fait pour être bu à table et les accords mets et vin participent à la construction du goût. » Cette dichotomie révèle un aspect particulièrement riche et intéressant de notre métier, il ne s’agit pas seulement de vendre du vin mais de vendre le bon vin à la bonne personne et au bon endroit.