Cela fait plus d’un mois que nous sommes confinés et nous prenons tous beaucoup de retard dans notre travail. La vigne, elle, est plutôt en avance. Le démarrage précoce du cycle végétatif a plusieurs conséquences.
Au domaine Delacroix Kerhoas, dans la partie gardoise de la Vallée du Rhône, l’exceptionnelle douceur, suivie de nuits très froides, a malheureusement provoqué des gelées dans une partie des vignes. La vigne est sensible au gel dès l’apparition des jeunes feuilles qui sont riches en eau. En cas de forte humidité, les jeunes pousses peuvent geler dès -2 à -3°C alors qu’en situation plus sèche, elles peuvent résister jusqu’à -4 voire -5°C. Ces gelées n’entraînent jamais la mort de la vigne même si elles peuvent détruire la récolte. Il est encore trop tôt pour estimer si les dégâts actuels auront des conséquences sur la récolte à venir.
Une bonne nouvelle tout de même : alors que le Sauvignon 2018 était en rupture de stock depuis octobre dernier, le domaine a mis en bouteille le millésime 2019. Plus délicieux encore, il se décline en notes de mangues fraiches, d’ananas et d’agrumes.
Pour Audrey Rouanet, au domaine Rouanet Montcélèbre, c’est la course contre l’herbe ! Les adventices, également (mal) appelées « mauvaises herbes », ne doivent pas concurrencer la vigne alors que sortent les premiers bourgeons. L’herbe est tondue puis éliminée par un travail mécanique un rang sur deux. Audrey a également entrepris de fertiliser ses sols. Elle a épandu de l’engrais organique dans les vignes de plaine et du fumier composté dans celles de coteaux. Les traitements sur les parcelles les plus précoces ne devraient pas tarder à débuter.
Plus au Nord, en Sud Vendée, les gelées ont épargné le Prieuré la Chaume. Après un hiver pluvieux, le climat est très sec. Une telle sécheresse à cette période de l’année convient particulièrement bien à la vigne. Christian Chabirand et son équipe terminent l’attachage des vignes. Cette étape du travail, indispensable, nécessite précision et dextérité. L’attachage consiste à courber la baguette, le long bois laissé sur le cep après la taille pour donner des fruits, l’enrouler et la fixer sur le fil le plus bas du palissage. Elle permet d’obtenir une croissance homogène et ordonnée sur le plan du palissage et des grappes bien réparties dans le rang.
Prochaine étape : les premiers traitements pour se prémunir des maladies dues à l’humidité comme le mildiou.
Vous l’aurez compris, les vignerons de Vins d’Avenir ne chôment pas et l’incertitude quant à la suite est leur pain quotidien … chaque année.
A la tête de deux enseignes à Nîmes, Benoit Locatelli fait partie des cavistes qui comptent dans le paysage viticole gardois. Lorsque j’ai fait sa connaissance, c’était pour lui vendre du vin. Du vin pourtant, dans sa cave, il n’en manque pas. Benoit court les salons, se déplace dans le vignoble et reçoit toujours les agents et grossistes avec bienveillance. Bref, Benoit est passionné. Une passion et une gentillesse peu communes qui ont dû le pousser à feuilleter mon catalogue, aiguisant alors ma curiosité.
Depuis, plusieurs dégustations m’ont fait découvrir un caviste engagé, méditerranéen « pur jus » qui parvient à conjuguer une grande habileté commerciale et une désarmante sincérité tant vis-à-vis de ses clients que de ses fournisseurs. Benoit est aussi un caviste d’une grande générosité. Amoureux des vins du Languedoc sans être sectaire, il n’hésite pas à vous faire découvrir son univers et les vignerons chers à son cœur.
C’est toujours un plaisir pour moi de partager mes trouvailles avec lui : j’ai la garantie d’un échange franc, direct et constructif.
En lui proposant de répondre à mes questions façon portrait chinois je savais que, même confiné, j’obtiendrais de sa part des réponses claires et honnêtes. A vous de juger :
Si tu étais un vin rouge ?
Un Renverse-moi de chez Fabien Reboul du château de Valflaunès au Pic-St-Loup, mais en vin de France. Parce que le vin, c’est aussi se désaltérer.
Si tu étais un vin blanc ?
Une cuvée Désirée 2015, un Sancerre de chez Vincent Gaudry. Cristallin, fin, étrange…
Si tu étais un vin pétillant ?
Une Avizoise de chez Pascal Agrapart, en Champagne. Parce que c’est juste inoubliable et très franc.
Si tu étais un accord met et vin ?
Tajine de veau au citron confit et vin blanc.
Si tu étais un vin d’un autre pays ?
Un Liatiko 2006 de Yannis Economou, en Crète. Parce que j’ai rarement autant voyagé en restant à côté de mon verre.
Si tu étais un spiritueux ?
Un Bas-Armagnac Cask Strength de chez Dartigalongue. Ou tout fruit distillé du Sud-Ouest.
Si tu étais une appellation ou région viticole ?
Les Terrasses du Larzac, mes premières émotions.
Si tu étais un vin du Languedoc ?
Un Enclos de l’âne de chez Jean-Baptiste Sénat. Un pur grenache à rebours de ce que fait le sud d’habitude.
Si tu étais un dessert ?
Une forêt noire.
Si tu étais un fromage ?
Aucun. Je déteste ça.
Si tu étais un moment de dégustation ?
Une dégustation avec un client.
Si tu étais une recette de cuisine ?
Un curry balinais.
Si tu étais un vigneron ?
Thomas Carsin, en Anjou. Droit dans ses pompes, à l’écoute de son terroir. Immensément talentueux.
Si tu étais une spécialité de chez toi ?
La corrida. Imperfection de l’homme, mais dramaturgie géniale trop incomprise.
Si tu étais un cépage ?
Le Mourvèdre. Les pieds dans l’eau, la tête au soleil.
Christophe
Duplessis compte parmi les tous premiers clients de Vins d’Avenir. Nous avons
lancé nos entreprises à six mois d’intervalle et échanger avec lui sur le
développement du chiffre d’affaires, les hauts et les bas de nos activités
respectives a souvent été très instructif pour moi.
Certes, tous les magasins bios possèdent un rayon vins. Mais peu d’entre eux font leur propre sélection, en dehors des catalogues proposés en interne par leur franchise ou par des grossistes bios généralistes. C’est le cas de La Vie Claire à Uzès grâce à Christophe Duplessis, œnophile convaincu de la première heure. Je suis donc ravie qu’il partage dans cette newsletter sa vision du bio et du vin.
Quel
est ton parcours ? Comment as-tu ouvert un magasin biologique ?
J’ai
longtemps travaillé dans la grande distribution et, même si j’avais la démarche
de sourcer beaucoup de bio, je n’étais pas complètement en phase avec mes
convictions. Le bio, ce n’est pas du business, c’est une philosophie. Et
pour moi ce n’était pas cohérent de travailler pour un grand groupe et de
défendre des petits producteurs.
Depuis
quand es-tu convaincu par le bio ?
Cela
fait plus de dix ans que je consomme bio. J’ai eu aussi une prise de conscience
avec la naissance de mon troisième enfant, que j’ai eu sur le tard. Et plus
j’en apprends sur l’industrie agro-alimentaire, plus je suis convaincu.
Et
le vin ? Je sais, par les choix que tu fais, que tu t’y intéresses
vraiment. Comment t’es venu le « goût du vin » ?
Mon
père était un amateur de vin, c’est lui qui m’a initié. Puis j’ai vécu en Provence
et là j’ai commencé à m’y intéresser vraiment, à aller voir des cavistes, acheter
aux caveaux, etc. Sans surprise, ma madeleine de Proust, ce sont les vins d’Henri
Bonnaud à Palette.
Proposer
un large choix de vins, c’est aussi une stratégie commerciale car c’est
différenciant. Plusieurs clients m’ont dit que j’avais une jolie sélection.
En
outre, travailler avec des acteurs de la région comme Vins d’Avenir me permet de
proposer des petits producteurs locaux. Si j’achète en centrale, ce n’est pas
le cas.
Quel(s)
vins préfères-tu ?
Je
viens d’une famille où l’on
boit beaucoup de blancs : une partie vit en Bourgogne, une autre en Loire.
J’adore le Chablis et le Sancerre.
Dans la sélection du magasin, j’ai un faible pour les vins du domaine du Petit Roubié, toujours francs sur le plan aromatique et de supers rapports qualité / prix. En plus, le vigneron est en agriculture biologique depuis 30 ans.
Comment
sont les clients des magasins bios ?
Souvent ils sont sensibles aux bons vins, ils aiment bien manger et donc bien boire. Ils connaissent très bien les labels et les dénominations, d’où l’importance d’avoir des vins certifiés AB, Nature et Progrès, Demeter etc. [si ce n’est pas votre cas, lisez à ce sujet le jargon du jaja #2].
Les consciences s’éveillent-elles au bio ?
Oh oui, c’est particulièrement flagrant en ce moment ! Les données sont nationales, ce n’est pas que dans ma boutique. Peut-être qu’une telle épidémie fait prendre conscience aux gens qu’être en bonne santé, c’est d’abord bien s’alimenter. C’est une crise sanitaire et le bio est synonyme de sécurité alimentaire. De plus, les pénuries alimentaires nous font prendre conscience de la nécessité de manger local.
Qu’est-ce
qui différencie un magasin bio d’une grande surface qui vend du bio ?
Dans un magasin bio, je regarde le label mais pas seulement. Lorsque je sélectionne un fournisseur, je regarde aussi la liste des ingrédients de ses produits. On peut être en bio et ajouter tout un tas d’additifs, par exemple du sucre. Je suis également sensible au local et à l’éthique du fournisseur. En grande surface, on ne prend pas en compte tous ces facteurs.
Selon
toi, quels sont les freins à un développement plus important du bio ?
Les producteurs eux-mêmes, qui ne sont pas toujours professionnalisés : ils livrent quand ils peuvent, ils ne font peu ou pas de suivi en rayon, ils ne sont pas toujours cohérents sur les marges commerciales, etc. Ce ne sont pas des commerçants. Chacun son métier, mais c’est dommage.
[Parenthèse publicitaire : d’où la nécessité d’avoir un bon grossiste qui fera l’intermédiaire 😁 ]
Quels
sont tes projets ?
Pérenniser
mon entreprise qui est encore toute jeune. [le magasin a ouvert il y a deux ans]. Développer encore plus les produits locaux :
nous vivons dans une région extraordinaire où il y a du choix.
Le 8 mars a eu lieu la
Journée internationale des droits des femmes.
Femme évoluant dans un
milieu encore très masculin, je ne peux que me sentir concernée. Je me sais également
très chanceuse et privilégiée car, enfant, j’ai « bénéficié » de
regards masculins- celui de mon père et de mon frère aîné- bienveillants, qui
ont participé à la construction d’une image de la femme valorisante, emprunte
de respect et de confiance. Ils m’ont aussi permis d’avoir une image positive
des hommes, ce qui me paraît indispensable lorsqu’on évolue dans un monde
encore très largement masculin.
Aujourd’hui, ce sont le soutien et les encouragements de mon mari qui
ont pris le relais. Sans lui, je n’aurai jamais pu créer Vins d’Avenir tout en
restant une maman épanouie. L’égalité homme – femme ne pourra advenir sans que
les hommes y prennent part.
Selon Élisabeth Badinter, « un
homme qui est aussi heureux quand il arrive quelque chose d’heureux à sa femme,
pour moi, c’est un féministe » J’ai donc choisi de partager avec vous ce
mois-ci la recette d’un « grand féministe » qui, en plus de ces innombrables
qualités, est un excellent cuisiner.
Beignets d’oignons doux
des Cévennes de Philippe
Ingrédients pour environ 15 beignets
1 kilo d’oignons doux des Cévennes
Farine de pois chiche
Huile de tournesol
Sel, poivre
Épluchez les oignons (et pleurez).
Émincez finement les oignons dans une passoire, salez-les bien et laissez-les rendre leur eau pendant au moins une heure.
Mettez les oignons dans un saladier et ajoutez de la farine de pois chiche jusqu’à l’obtention d’un mélange pâteux.
Rajoutez du poivre.
Faites chauffer de l’huile de tournesol (minimum 10 cm).
Avec deux cuillères, formez des quenelles de pâtes et trempez les dans l’huile chaude pendant 7 à 8 minutes. Surveillez la cuisson, retournez les quenelles de temps en temps pour obtenir une couleur homogène.
Sortez-les et mettez-les sur du papier absorbant.
Salez et dégustez !
Pour accompagner cette
recette, dont on se régale plutôt à l’apéritif, je recommande un vin avec de l’ampleur
et des arômes pour soutenir le mariage avec la texture des beignets, le goût sucré
des oignons doux et le parfum puissant de la farine de pois chiche. Un Chenin
de Loire, riche aromatiquement mais sans gras, est parfait avec ce type de plat.
La cuvée du Fief Noir, L’âme de fond, avec sa bouche ample et ces notes
minérales, acidulées, ne se laissera pas « écraser » par les
beignets.
En rouge, je choisirais un
vin peu tannique. Restons en Languedoc pour faire un accord local. Je pense à Canon
Huppé du domaine Monplézy, une cuvée fraiche et gourmande 100% Cinsault.
A l’Épicerie, en plein cœur de Nîmes, on se sent
« comme à la maison » et ce depuis quatre ans. Le concept de Caroline
et Bruno Licini est simple : tout ce qu’il est possible d’acheter est
consommable sur place. Il s’agit de préférence de produits bios et quasi exclusivement
en circuits courts. Mais l’Épicerie, ce n’est pas que cela. C’est aussi un
endroit chaleureux où le mobilier semble avoir été chiné par des mains
expertes, ce sont, certains soirs, des lectures de poésie, des dégustations de
vins, des concerts ou encore un troc de livre.
Quand j’interroge les propriétaires sur la genèse de ce lieu magique, la réponse fuse : « L’idée a germé lorsque le fils de Caroline a acheté les murs. Il y avait ce local. Pourquoi ne pas en faire une épicerie ? Si ça ne marche pas, on mangera le stock ! ». C’était pourtant un sacré challenge que de créer une épicerie indépendante à l’heure où les supérettes des grandes enseignes pullulent dans les centres villes.
Comment avez-vous établi la sélection de produits ?
« Ça n’a
pas été difficile : nous aimons manger, alors nous avons fait des marchés
et rencontré des producteurs qui sont devenus nos premiers fournisseurs. »
Aujourd’hui, l’Épicerie est devenue une belle
adresse que l’on se communique entre amateurs de bonne chère et ce sont les
producteurs qui viennent à Caro et Bruno pour être référencés sur leurs
étagères.
Et le vin, là-dedans ? Sur les rayons, beaucoup de quilles bios, nature,
que du local qu’ils achètent pour beaucoup en direct. Et pour le reste ? Ils
font confiance à Vins d’Avenir, avec une préférence pour les jus « gourmands,
ronds et peu tanniques ».
Le duo semble collaborer en parfaite osmose. Ce n’est
pas compliqué de travailler en couple ?
« Franchement ? Non. » me répond
Caroline. « Bruno est calme alors que moi je suis plus speed. Et
puis, lorsque l’on parle de l’Épicerie sur notre temps libre, on n’a pas
vraiment l’impression de travailler. Nos fournisseurs sont devenus des
copains. La vraie difficulté, c’est le nombre d’heures. Nous sommes
ouverts du mardi au samedi de 9H30 le matin jusqu’à 23h le soir. C’est assez
fatiguant comme rythme. »
Vos enfants partagent-ils vos convictions sur la
malbouffe ?
« Oui ! Même si lorsqu’ils étaient plus
jeunes ce n’était pas le cas, aujourd’hui les frigos de nos garçons sont
remplis de produits bios. Quant à notre dernière c’est une ado donc, comme tous
les ados, elle est contre tout ce qu’on fait ! »
Un coup de cœur respectif ?
Pour Caroline ce sera Amélie Clavier, qui produit une liqueur de verveine. « C’est un ange. Et elle est la seule productrice qui démarre de la culture de la plante pour aller jusqu’à la mise en bouteille. » Le choix de Bruno se porte sur Sylvain Petit, un producteur de vinaigre et moutardier.
« Tous deux sont des passionnés. Les logiques
économiques n’ont pas de prise sur ces gens-là. Amélie ramasse les plantes
quand elle « sent » que c’est le bon moment tandis que Sylvain a mis
trois ans a élaboré sa meule. »
Enfin, et c’est sans doute ce qui me rend Caroline
et Bruno si attachants, ils travaillent en parfaite confiance avec les
producteurs. Les fournisseurs ardéchois ont par exemple la clef de la maison que
le couple possède dans la région et qu’ils y déposent leur commande en leur
absence.
Dans un monde toujours plus individualiste et qui invite
à la méfiance, les « petits » commerces comme l’Épicerie sont aussi précieux
pour l’estomac que pour l’âme.
Chaque année, fin janvier, a
lieu à Montpellier Millésime Bio, la grande messe des vins bio. Il s’agit d’un
salon professionnel qui met en contact des centaines de vignerons, de France et
d’ailleurs, tous certifiés en agriculture biologique, avec des importateurs, des
agents, des grossistes, des cavistes ou encore des sommeliers. J’y ai d’abord
participé en tant qu’exposante et je m’y rends maintenant comme visiteuse.
C’est l’occasion de découvrir des domaines qui pourraient intégrer la sélection
et de rencontrer tous les producteurs avec qui je travaille déjà. Nous
échangeons sur l’année écoulée, je goûte les vins du dernier millésime et les
nouveautés quand il en existe. Et cette année les vignerons de la sélection
Vins d’Avenir ont été créatifs !
Paul Riéflé, du domaine éponyme, nous a présenté son crémant Brut Alpha, un deuxième pétillant dans la gamme. Les bouteilles ont été dégorgées en 2018 après quatre ans de vieillissement sur lattes. L’assemblage, la méthode de vinification comme l’esthétique de la bouteille empruntent aux codes du Champagne (pour connaître la différence entre les types de bulles, je vous renvoie à l’article de Léa Desportes). La bouche est ample, assez vineuse.
Autre nouveauté : un vin orange, le Sacré Loustic, qui porte bien nom. Les baies de très jeunes vignes de Gewurztraminer ont été laissées macérées pendant trois semaines. Ce contact prolongé entre la pellicule et le moût de raisins, habituellement évité pour la vinification en blanc, confère aux jus de la couleur, des arômes et de la matière. Sacré Loustic, vin nature non filtré (là encore, allez lire les explications de Léa), offre un nez très atypique de clou de girofle, de poivre, de cumin. Voici un vin qui nous fait voyager, ses notes de curry et de gingembre confit appellent à des accords lointains, pourquoi pas du côté de l’Inde.
Au domaine Wilfried, ce sont également deux nouvelles cuvées qui ont vu le jour. Les paradis perdus, c’est une parcelle rayée des cartes lorsque l’appellation Cairanne est née en 2016. Décision injuste et incompréhensible selon les vignerons Réjane et Wilfried Pouzoulas, qui ont décidé de vinifier à part ces vieilles vignes de Grenache plantées sur un sol argilo-calcaire. Le résultat est une cuvée parcellaire tout en légèreté et en finesse. Le vin s’ouvre sur des notes de pivoine puis déroule des notes de baies, de groseille et d’épices. 2018 est déjà en rupture mais le paradis mérite sans doute un peu de patience … La sœur et le frère, qui ne sont pas oisifs,ont également élaboré un rosé en Vin de France, Le courage des oiseaux.
Direction le Languedoc et le
domaine Rouanet Moncélèbre. Audrey Rouanet, agacée de devoir sacrifier
ces jolis Cinsault à une mode qui réclame des rosés de plus en plus pales et
insipides, a décidé de garder ces raisins pour produire un monocépage rouge en
vin de Pays. On chante à nouveau avec ce rafraichissant Se Canta 100% Cinsault
et on crie « vivement l’été ! ».
Il n’a pas pu venir au salon
mais il n’a pas chômé non plus, Sylvain Badel. Si le vin, une des
références de la sélection avec ses Saint-Joseph rouges, propose cette année
une cuvée de l’appellation nord-rhodanienne … en blanc ! Les volumes sont ultra
confidentiels et il n’y en aura pas pour tout le monde. Je n’ai pas encore
gouté mais il y a fort à parier que nous ne serons pas déçus. Je vous en parle
dès que ce sera fait.
Enfin, le Château Cohola se lance avec brio dans l’aventure des vins sans soufre. Et pour satisfaire tout le monde, ils ont élaboré un rouge et un blanc. J’ai été particulièrement impressionnée par leur Sablet blanc, produire des vins nature dans cette couleur étant un exercice périlleux. Le talent de vinificateur de Jérôme Busato a fait naître une cuvée aux arômes complexes de brioche et de safran qui offre une très belle longueur en bouche. En rouge, la micro cuvée 100% Syrah a été vinifiée en amphores. A l’ouverture les marqueurs du cépage sont bien présents : des notes animales, d’abord, puis des arômes de violette et de poivre blanc.
La sélection de Vins d’Avenir ne propose
que des domaines labellisés bio, à l’exception d’une poignée en cours de
conversion. Certains travaillent en biodynamie et plusieurs revendiquent des cuvées
« nature ».
Rassurez-vous : vous n’êtes pas le ou la seul-e à ne pas savoir de quoi il retourne précisément. Tentons d’y voir clair dans le vert … et dans le verre !
Le bio
Label européen AB
Il s’agit de la catégorie la plus large mais aussi la plus facile à définir puisqu’il existe un label européen, des règles qui s’appliquent à tous les vins qui souhaitent revendiquer le statut bio. Apposer le logo AB sur l’étiquette nécessite de respecter un cahier des charges à la vigne et dans la cave qui privilégie les procédés non polluants, respectueux de l’écosystème et des animaux. Les produits en « ides », herbicides, pesticides et autres insecticides, issus de la synthèse chimique, sont par exemple exclus. Attention : cette interdiction ne signifie pas que les vignerons ne traitent pas leurs vignes mais qu’ils utilisent d’autres produits, d’origine naturelle, comme le soufre et le cuivre, pour protéger leurs raisins. Et, surtout, le travail du sol est privilégié. Le producteur est contrôlé par un organisme accrédité, le plus connu étant Ecocert. Il lui faut travailler trois ans de suite en bio avant d’obtenir la certification, d’où le statut transitionnel « en conversion ».
90 000 hectares de vignes sont en bio en France, soit 11 % des surfaces viticoles. On est loin de la marée verte mais le plafond « de vert » annoncé il y a quelques années est en train d’être largement dépassé.
Certains domaines revendiquent une agriculture « raisonnée », s’autorisant une quantité modérée d’intrants afin de maintenir une quantité de récolte satisfaisante. Méfiez-vous : cette qualification, abandonnée depuis le Grenelle de l’environnement de 2007, n’est plus règlementée et peut recouvrir des réalités très différentes.
Certes, tous les vignobles ne
sont pas égaux face au bio, qui entraîne une baisse des rendements et une
hausse des coûts de production. Mais être « en raisonné » est-il
encore raisonnable ?
D’autres domaines considèrent d’ailleurs
que le cahier des charges n’est pas assez exigeant puisqu’il autorise des
pratiques douteuses (l’acidification, la désacidification, ou encore le
traitement thermique du moût) et des additifs comme des tannins ou des copeaux
de bois. C’est le cas de nombreux vignerons de Vins d’Avenir dont l’engagement
environnemental dépasse bien largement les règles européennes. Certains d’entre
eux se tournent pour cette raison vers une charte privée plus exigeante (comme Nature
et Progrès) ou vers l’agriculture biodynamique, où l’herbe serait plus verte.
La biodynamie, plus verte que
verte ?
En effet, si la certification AB est un prérequis, les normes exigées en agriculture biodynamique sont plus contraignantes : les doses de cuivre et de soufre sont plus faibles, l’ajout d’enzymes, de levures et de tanins est interdit, etc. Pourtant, la biodynamie ne peut se résumer à une forme d’agriculture bio plus poussée. Elle repose sur l’emploi de préparations à base de plante utilisées à des doses homéopathiques et s’appuie sur le calendrier lunaire. L’idée est d’apporter un équilibre global à la plante, de l’aider à se renforcer, plutôt que de soigner les symptômes des maladies qui surviennent dans les vignes et au chai. La pratique n’est pas encadrée par des textes officiels mais par des labels certificateurs privés, les plus importants étant Demeter et Biodyvin (le second étant moins strict que le premier).
Ses contempteurs crient à la pseudoscience. Et il faut bien reconnaître que son fondateur, l' »anthroposohe » autrichien Rudolf Steiner (1861-1925), n’a fourni aucun mécanisme explicatif, en appelant uniquement à la foi de ceux qui voudront bien le croire. Personnellement je préfère boire. Et je dois constater que les vins biodynamiques possèdent souvent un je-ne-sais-quoi, un toucher de bouche qui me les rend très plaisant.
Le naturel
Ça se complique encore un peu plus car il n’existe ni label ni définition réglementaire[1]. Les termes « nature » ou « naturel », seuls ou précédés du mot vin, sont même bannis des étiquettes. Dans cette famille des vins « vivants », parfois qualifiés de « nus », les intrants sont des intrus. Au premier chef le dioxyde de soufre (SO2), les fameux sulfites, accusés de donner mal à la tête et de masquer le « vrai » goût du vin, celui du terroir. Sachez toutefois qu’un vin en contient toujours (un peu) puisque les levures en produisent naturellement.
Mais il ne faudrait pas réduire la démarche du vin naturel à la seule question du sans soufre. D’abord parce que la famille n’arrive pas à se mettre d’accord. Les puristes n’acceptent aucune goutte de soufre ajouté- leurs vins sont parfois qualifiés de S.A.I.N.S (Sans Aucun Intrants Ni Sulfites), quand d’autres se revendiquent nature et mettent tout de même un peu de soufre dans toutes ou partie de leurs cuvées. Ensuite parce que le soufre, c’est l’arbre qui cache la forêt des additifs : 49 sont autorisés en vinification, auxquels s’ajoutent 70 auxiliaires technologiques, censés, eux, ne pas laisser de résidus dans la bouteille[2]. Et la plupart sont autorisés dans les vins bios :
Et c’est peu dire que le sujet l’est,
sulfureux. Victimes de leur succès, ces vins sont aussi très souvent caricaturés
et réduits aux seuls défauts pourtant de plus en plus minoritaires d’écurie, de
pomme blette et autre goût de souris.
Certes, le vin nature peut parfois surprendre les palais non aguerris. Il arrive par exemple que le vin pétille en bouche. C’est parce que les vignerons, pour se passer de cet antiseptique, antibactérien et antioxydant puissant qu’est le soufre laisse ou ajoute du CO2 pour protéger leur jus. Dans ce cas, n’hésitez pas à carafer le vin voir à secouer la bouteille.
Selon moi le plus gros défaut du
vin naturel n’est pas organoleptique mais linguistique. « Naturellement »
un jus de raisins se transforme … en vinaigre. Élaborer un pinard sans béquille
chimique requière un sacré savoir-faire dans les vignes et au chai pour
transformer des grappes en divin nectar.
En raison notamment des
divergences indiquées plus haut sur le niveau de soufre toléré, il n’existe pas
de label privé qui fasse référence comme pour la biodynamie. Après plusieurs
échecs[3],
le Syndicat de défense des vins Nature’l, créé en septembre dernier, tente de
nouveau de rassembler les cousins sous une bannière commune. Il a adopté au
début du mois une charte « vin méthode nature ». Elle impose
une certification en agriculture biologique, des vendanges manuelles, des moûts
sans intrants ni filtration ou levurage et des cuves non sulfitées lors des
fermentations mais avec une possibilité d’ajout d’une petite quantité de soufre
avant la mise en bouteille. Les fondateurs du Syndicat ont entamé les démarches
pour que cette définition devienne réglementaire d’ici cinq ans.
Ce serait à mon sens une très bonne chose puisque aujourd’hui une minorité de vignerons, plus souvent de gros opérateurs ou des maisons de négoce, s’engouffrent dans la brèche laissée par l’absence de cadre contraignant pour produire des vins « nature » mais en conventionnel. Des vins sans soufre mais bourrés de pesticide !
Il n’est pourtant pas sûr que cette nouvelle tentative de poser un cadre normatif et institutionnel sur cette pratique aboutisse, tant celles et ceux qui l’ont choisi — souvent au prix de grands tracas administratifs — sont de fortes personnalités qui souhaitent préserver leur liberté. Chassez le naturel …
Échelle de tolérance des différents labels avec l’exemple du soufre (quantité maximale pour les vins rouges, en H2SO4 total) :
Vin conventionnel : 150 mg/l.
Label AB : 100 mg/l.
Label Nature et Progrès : 70 mg /l.
Label Demeter : 70 mg/l.
Label Biodyvin : 80 mg/l.
Label Vin méthode nature : 30 mg/l.
Vins S.A.I.N.S : sans sulfite ajouté.
Léa Desportes
Un peu de lectures pour et contre pour alimenter (et hydrater) la réflexion et s’engueuler à table :
[1] L’INAO a enterré en mars 2018 la tentative d’apporter une définition règlementaire au vin naturel.
[2] Il faut noter que les producteurs de vin, qui n’est pas considéré comme une denrée alimentaire par la règlementation européenne en raison d’un taux d’alcool supérieur à 1,2 %, ne sont pas tenus d’indiquer sur l’étiquette les ingrédients et les calories, contrairement, par exemple, aux embouteilleurs d’eau minérale, qui doivent tout détailler.
[3] L’Association des Vins Naturels (AVN) et Les
Vins S.A.I.N.S rassemblent très peu de vignerons.
Monique Bonnet et Véronique Barthe au salon Millésime Bio, janvier 2020
Monique Bonnet du Château Suau et Véronique Barthe du Château d’Arcole sont les deux représentantes de la région bordelaise de la sélection Vins d’Avenir. Elles sont aussi des soutiens sans faille depuis l’origine de l’aventure. J’ai d’abord rencontré Monique au cours d’un voyage rocambolesque en Chine, il y a quelques années. Elle est tout de suite devenue plus qu’une amie, un guide, un modèle. Elle m’a très vite présenté son amie Véronique, qui a eu à mon égard- avant même de me connaître- la même bienveillance.
La première est une Bordelaise d’adoption, devenue vigneronne à plus de 30 ans. La seconde est issue d’une famille de vignerons depuis de nombreuses générations. A la fois extrêmement proches et très différentes, ce sont pour moi des femmes inspirantes, par leur travail, leur joie de vivre mais aussi l’amitié pure qu’elles entretiennent depuis de nombreuses années. J’ai donc voulu dresser un portrait croisé de ces deux femmes. Je pensais vivre un moment léger, joyeux, à devoir pousser un peu ces deux pudiques à se livrer. Je ne m’attendais pas du tout à passer aussi vite du rire aux larmes et à apprendre autant en l’espace d’une petite heure sur l’amitié, la dignité et l’espoir.
Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Véronique Barthe : Un point commun entre nous, c’est que nous n’avons de mémoire ni l’une ni l’autre (rires). Je dirais à la fin des années 1980, lors d’un salon des vignerons indépendants à Bordeaux.
Qu’est-ce qui vous a rapproché ?
Véronique Barthe : On était toutes les deux toutes seules à gérer nos propriétés de A à Z, cela nous a beaucoup rapproché. Nous avons créé ensemble « L’envers de Bordeaux », un groupe de vignerons/copains qui pensaient qu’il vaut mieux chasser en meute que seul. Cela donne de la force d’être à plusieurs. Nous avons ensuite intégré ensemble les Aliénor du Vin de Bordeaux, un groupement de vigneronnes bordelaises qui existe aujourd’hui encore.
Monique Bonnet : Nous sommes devenues amies au bout de quelques
années. Nous avons pris l’habitude de partager beaucoup de choses. On échange
des clients, on mutualise le transport, on partage les stands. On s’aide tout
le temps.
VB : On partage aussi le goût des bonnes choses, de la bonne chère… Tout en étant nous-même de piètres cuisinières (rires).
Comment décririez-vous la vigneronne et les vins qu’elle produit ?
VB : C’est une femme complète qui s’intéresse à tout. Dans ses
vins, elle recherche l’expression du fruit, plus encore depuis que le domaine
est converti en agriculture biologique. Elle a une gamme large, on ne peut pas ne
pas trouver son bonheur dans les vins produits par Monique. En outre, je trouve
qu’il y a un beau travail sur les étiquettes.
MB : Je suis assez admirative de la façon dont travaille Véronique. C’est une « dilettante bosseuse ». Elle est toujours cool, jamais « bileuse », mais tout est toujours fait en temps et en heure. Quant à ses vins, elle sait exactement où elle va et, avec Château d’Arcole, elle produit un travail d’orfèvre
Quelle est la plus grande qualité de l’autre ?
VB : C’est une femme d’une extrême générosité et c’est quelqu’un
d’entier. Cela me plait beaucoup chez elle.
MB : C’est un rayon de soleil. Un optimisme à tout épreuve. Sa pêche
est une leçon. Elle relativise tout. C’est une chance de l’avoir. Je comprends
pourquoi elle a autant d’amis.
Son plus grand défaut ?
….
Alors que je les interroge séparément sur les défauts de l’autre, je ne parviens pas davantage à obtenir de réponse. « Laisse-moi réfléchir », « Là, ça ne me vient pas » Peut-être est-ce cela, la véritable amitié : on aime aussi les défauts de l’autre ?
Une région viticole coup de cœur hors du Bordelais ?
D’une seule et même voix : les vins de la vallée du Rhône septentrional, les rouges surtout : Saint-Joseph, Crozes-Hermitage, Côte Rôtie, etc.
Que pensez-vous du « Bordeaux bashing », véritable désamour
pour le vignoble, sous le feu des critiques pour être trop cher, trop boisé,
trop pollué, etc. ?
VB : Les gens associent Bordeaux aux grands crus, des vins
chers et très boisés. Or l’immense majorité des vins de Bordeaux, ce n’est pas
cela. Nos vins à toutes les deux le prouvent.
MB : Pendant des années, Bordeaux a été la locomotive des exportations de vins français dans le monde. Aujourd’hui, avec la mondialisation, les Chinois produisent autant de vins que les Français et il faut partager le marché.
VB : Bordeaux n’arrive pas à capter une clientèle jeune. J’ai espoir que cela change mais c’est long et c’est à nous, les professionnel-le-s du vin, de faire de la pédagogie.
Un grand moment de dégustation ?
MB : Un jour, Véronique m’annonce qu’elle a une grosseur
suspecte. Je monte tout de suite sur mes grands chevaux. « Ah non, toi, tu
ne peux pas être malade ! » Avec la malice qu’on lui connait, Véro me
répond, mutine : « Qu’est-ce qu’on parie ? ».
– « Écoute, si tu es malade, je t’offre la plus belle dégustation
de ta vie ! »
Quelques semaines plus tard, Véro me rappelle et, très sereinement, m’annonce
au téléphone : « Ma chère, j’ai le plaisir de t’annoncer que tu me dois
une dégustation ».
Voilà Véro : optimisme à toutes épreuves mais aussi classe, dignité et courage. Véro a guéri. J’ai donc organisé la fameuse dégustation. Les bouteilles ont valsé, du Bordeaux, principalement Saint-Julien, Pauillac, mais aussi des grands Champagnes. Nous avions quelque chose à fêter…
La vigne est une
liane qui, naturellement, se développe, s’allonge et se raméfie. Il faut donc
la tailler pour que la production de fruits l’emporte sur celle des bois. La
taille représente la principale tâche du vigneron durant les mois d’hiver,
lorsque la vigne est en repos végétatif. Il s’agit d’un travail rude, qui nécessite
de passer de longues heures accroupi ou penché dans le froid. C’est aussi un exercice
très complexe, qui mélange réflexion et intuition. D’autant que les enjeux sont
« de taille » : la conduite de la vigne détermine la quantité et la qualité de la
récolte à venir et, en contrôlant la vigueur de la plante, impacte la pérennité
des souches.
Si les vignerons continuent à se référer au vieux proverbe « taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de mars », dans les faits, la surface du vignoble décide du début des premiers coups de sécateurs. Pour tailler la trentaine d’hectares du domaine Monplézy, dans Le Languedoc, Anne Sutra de Germa est obligée de démarrer tôt. Pour tailler ses 3,5 hectares de Châteauneuf-du-Pape, Bernard Friedmann peut se permettre d’attendre que les températures se radoucissent. Car une météo plus clémente signifie que la sève, qui descend lorsque la vigne est en dormance, remonte dans les bois. Lorsque l’on la taille, la vigne « pleure » : elle laisse couler de la sève qui agit comme un baume protecteur sur la plaie et une barrière contre les champignons à l’origine des maladies du bois.
Il existe plusieurs types de taille. Celle qui est pratiquée à Châteauneuf-du-Pape est dite « en gobelet ». Le cep est taillé en cinq bras qui forment comme un bol :
Cep de Grenache taillé en gobelet.
« C’est une taille spécifiquement adaptée au Grenache, cépage buissonneux dont les rameaux retombent sur le sol » m’explique Bernard Friedmann. Il ajoute : « cette taille offre un meilleur ensoleillement et permet un passage de l’air optimale. C’est une taille courte adaptée aux vents violents. En outre, les fruits sont protégés sous le végétal des rayons ardents du soleil provençal. » Cette taille noble est contraignante : les vignes ne peuvent pas être palissées (c’est-à-dire relevées entre deux fils) et elles doivent être récoltées à la main. Ses Syrah sont taillées en Guyot, une taille répandue dans de nombreux vignobles qui permet de palisser la vigne, ce qui rend possible de mécaniser certains travaux.
Cep de Syrah taillé en Guyot.
Bernard Friedmann est un vigneron exigeant et méticuleux. Quand la plupart de ses collègues taillent avec des sécateurs électriques, lui préfère toujours la cisaille. Il défend son choix : « La lame de la cisaille est arrondie et peut épouser complétement la plante. Elle n’écrase pas la fibre du bois et détériore moins les vaisseaux qui permettent à la sève de monter dans la plante. C’est moins dangereux : impossible de se couper avec une cisaille. C’est plus économique aussi : alors que les sécateurs tombent en panne, une cisaille, c’est increvable ! ». Lorsque j’objecte que c’est probablement plus physique, Bernard me répond, amusé : « Certes, mais comme d’ici quelques années j’imagine qu’on nous dira que les boitiers de nos sécateurs électriques accrochés toute la journée à la ceinture sont nocifs, alors… ».
En matière de
taille, il existe la théorie et la pratique. Chaque pied est différent et
nécessite de s’adapter. Il existe également autant de méthode de taille que de
tailleurs. Le vigneron de Châteauneuf reconnaît bien volontiers qu’il préfère
de plus en plus déléguer ce travail difficile à un de ces employés
particulièrement doué. Un aveu qui n’est pas monnaie courante dans le monde du
vin …
Ouvert en 2011, Vins de nos Pères est devenu en quelques années une
adresse incontournable pour les œnophiles nîmois. Ce succès est dû en grande
partie à la personnalité charismatique du maitre des lieux, Arnault Pringalle.
Il définit l’endroit comme une cave à manger plutôt qu’un bar à vin.
« Lorsque j’ai commencé en 2011 je me suis associé à un ami
d’enfance, Vincent Parcé, dont la famille possède le célèbre domaine de la
Rectorie à Collioure. Nous avons choisi d’associer nos compétences héritées de
nos pères, l’hôtellerie pour moi, le vin pour lui. D’où le nom de
l’établissement ». La maison doit aussi sa réussite à de nombreux plats
signatures) la raclette au morbier, l’assiette de saumon ou encore
l’andouillette- et à un droit de bouchon tout doux de 4€.
Aujourd’hui, Arnault est bien entouré, accompagné de trois comparses,
Pascal, Thomas et Alfonso, ce dernier officie divinement en cuisine. On sent
une équipe soudée et heureuse d’être là. Je questionne Arnault sur son rôle de
manager, qu’il semble exercer avec plaisir et facilement. « Je dirais
plutôt motivateur. Oui, j’aime la transmission, qui est à l’origine du projet.
J’aime créer de l’émulation, que chacun trouve sa place. J’ai une grande
confiance dans mon équipe. »
Issu d’une famille de neuf enfants, Arnault est le 5ème de
la fratrie. On comprend aisément qu’il aime être le trait d’union et qu’il soit
parvenu à recréer dans son établissement une ambiance familiale et chaleureuse.
Lorsque je l’interroge sur son initiation au vin, j’apprends que c’est
là encore la famille Parcé qui lui a mis le pied à l’étrier. « Ma
madeleine de Proust, c’est la cuvée Argile du domaine de la Rectorie, un blanc
avec une belle tension. Puis lorsque je me suis intéressé à la vallée du Rhône,
j’ai découvert d’autres vins avec du fruit et de la fraîcheur. C’est le cas
aussi de certaines appellations du nord du Languedoc comme Pic Saint Loup,
Terrasses du Larzac ou Monpeyroux. C’est ce que j’aime. »
La cave compte beaucoup de vins bios et nature. Arnault
m’explique : « Pour moi, les vins bio, c’est l’avenir. En fait, pour
tous les grands vignerons d’aujourd’hui, le bio cela fait longtemps déjà que
c’est le présent. Les vins nature, c’est autre chose, c’est devenu une mode.
Lorsque le terroir s’y prête que les sols contiennent assez de minéraux et de
sulfites pour ne pas avoir à rajouter de soufre, cela peut produire de
magnifiques cuvées. Je préfère quand les vignerons tendent vers une production
nature, sans que cela devienne une obligation, une démarche
jusqu’au-boutiste. »
Quand je lui demande ce qui fait selon lui un grand vigneron, Arnault
s’enthousiasme. « Pour moi, un grand vigneron c’est d’abord de bons vins,
une démarche humaniste ensuite. Mathieu Manifacier du domaine de Berguerolles,
Pierre Regnault du domaine Pierre et l’Étoile, ou encore Edouard Santex qui a
créé le domaine Un Coin sur Terre sont de bons vignerons mais aussi de belles
personnes. C’est ça pour moi les grands vignerons de demain. »
Et lorsque nous évoquons les projets à venir, Arnault m’apprend,
serein, qu’il ouvrira en mai une deuxième cave à manger, plus grande, avec un
choix plus large de bières et de spiritueux et avec un concept incluant un peu
plus le client dans le choix des accords mets-vins.
La transmission chère à Arnault n’est pas près de s’arrêter…
En bonus, quelques propositions d’accords mets et vins proposés par
Arnault lors de notre entretien :
FROMAGE
Avec un ossau-Iraty : un Condrieu de Sylvain Badel ou de Julien
Pilon. Et si on veut un vin plus accessible en termes de prix : le
Viognier du Château Campuget.
Avec un pélardon des Cévennes : un blanc minéral mais gras. Un
Collioure blanc de la Maison Parcé frères ou le Clos blanc du domaine
Berguerolles en IGP Cévennes, un assemblage de Sauvignon boisé pendant 6 mois
et de Viognier.
POISSON
Avec une assiette de saumon fumé : la cuvée Amphore
de Luc Vignal (assemblage de Roussanne, Grenache blanc et Vermentino) ou son
petit Pinot noir Pinocchio, tellement délicat qu’il n’écrasera pas le poisson.
VIANDE
Avec une viande blanche crémée : un champagne de la maison Étienne
Oudart ou bien un joli rouge frais de la vallée du Rhône, la cuvée Brocéliande
de François Merlin par exemple.